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Page:Pirenne - De la méthode comparative en histoire, 1923.djvu/14

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Observons que cette préférence est de date relativement récente. L’Antiquité, le moyen âge, la Renaissance, le xviiie siècle en sont exempts. D’Hérodote à Voltaire et à Herder, on connaît quantité de synthèses s’efforçant de représenter ou d’expliquer le passé de l’humanité tout entière. Il importe peu que le Discours sur l’histoire universelle ou l’Essai sur les mœurs s’inspirent d’idées bien différentes : sur l’objet même de l’histoire ils sont d’accord. Que le chrétien y reconnaisse les desseins de la Providence ou que le philosophe la soumette à son rationalisme, ils l’envisagent l’un et l’autre dans sa totalité, ou, pour mieux dire, dans son unité. À cette unité, le romantisme et le nationalisme du xixe siècle ont opposé la diversité. De même qu’ils ont poussé les artistes à rechercher la couleur locale, ils ont orienté les historiens vers l’étude des caractères particuliers qui différencient les peuples. L’histoire est devenue plus vivante, plus pittoresque, plus passionnante qu’elle ne l’avait jamais été. Elle est devenue en même temps plus riche et plus précise. La critique des sources a réalisé d’admirables progrès, des découvertes splendides ont révélé des civilisations inconnues, aucune des manifestations de l’activité sociale n’a été négligée, ni le droit, ni les mœurs, ni l’économie. C’est à juste titre que l’on a pu donner au siècle qui vient de finir le nom de siècle de l’histoire.

Pourtant, son œuvre grandiose apparaît plus savante que scientifique. Elle est sans égale pour l’abondance des matériaux qui ont été mis au jour et pour le soin avec lequel ils ont été préparés. Mais peut-on en dire autant des synthèses qu’elle a produites ? Il semble bien qu’à mesure que le champ de l’histoire s’agrandissait, celui de la vision historique allait se rétrécissant, et il se rétrécissait davantage à mesure que l’on se rapprochait de notre temps, c’est-à-dire, reconnaissons-le, à mesure que le nationalisme et l’impérialisme s’affirmaient davantage. Il est frappant de voir à quel point le passé national attire et absorbe dans chaque pays l’attention des travailleurs. Et cela, sans doute, n’est pas un mal. Mais le mal gît dans l’esprit d’exclusivisme avec lequel on aborde ce passé. On s’enferme en