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Page:Pirenne - De la méthode comparative en histoire, 1923.djvu/5

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cien, pour l’astronome, pour le physicien ou le chimiste, ce détachement se comprend sans peine. Il est bien plus difficile pour l’historien. L’historien, en effet, ne se trouve pas, vis-à-vis de l’objet de ses études, dans la situation du naturaliste vis-à-vis de la nature. Sa personnalité y est pour ainsi dire en jeu. Comment, s’il étudie l’histoire de son pays, pourra-t-il oublier que ce pays est sa patrie ; si c’est l’histoire de sa religion, qu’elle est la source de sa croyance ; si c’est l’histoire de son parti, que ce parti a droit à sa fidélité !

Pour arriver à l’objectivité, à l’impartialité sans laquelle il n’est pas de science, il lui faut donc comprimer en lui-même et surmonter ses préjugés les plus chers, ses convictions les mieux assises, ses sentiments les plus naturels et les plus respectables. Peut-être lui est-il impossible d’arriver à un tel renoncement. Il s’y essaie pourtant, car il sait que c’est à ce prix seulement qu’il méritera bien de la science. Il peut, ou, du moins, il doit, quoi qu’il lui en puisse coûter, dire avec Pasteur : « Il n’y a ici ni religion, ni philosophie, ni athéisme, ni matérialisme, ni spiritualisme qui tienne. Je pourrais même ajouter : comme savant, peu m’importe. C’est une question de fait, et je l’ai abordée sans idée préconçue ; je ne puis que m’incliner devant l’expérience, quelle que soit sa réponse. »

Eh bien ! cette conception de la science, n’est-ce pas d’elle que sont sortis les Congrès internationaux d’histoire ? N’y répondent-ils pas entièrement, eux qui convient à étudier dans le même esprit, suivant la même méthode, sans rechercher rien d’autre que le vrai, tous les historiens indistinctement, quels que soient leurs pays, leur nationalité, leurs confessions religieuses ? N’affirment-ils pas cette vérité, banale sans doute, mais d’une application si difficile, que la science n’a pas de patrie ? Ne sont-ils pas l’hommage le plus éclatant rendu à ce détachement nécessaire dont je parlais tout à l’heure ? Voilà pourquoi de telles assemblées sont salutaires, et voilà pourquoi aussi quand, en 1921, la Royal Historical Society de Londres a offert aux historiens belges de réunir à Bruxelles le Ve Congrès international