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Page:Pirenne - De la méthode comparative en histoire, 1923.djvu/9

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point la preuve de la diversité qualitative des peuples et ne déduisait-elle pas de cette diversité, voulue par la nature, la nécessité, la fatalité de la guerre qui devait soumettre le plus faible au plus fort ? Or, cette doctrine, la guerre même semble bien en avoir prouvé l’inanité. Elle a montré, en effet, des peuples de même race se dressant les uns contre les autres. Elle a fourni la preuve que ce qui unit les hommes, ce n’est ni la communauté des caractères ethnographiques, ni la parenté des langues, mais la volonté collective de se dévouer jusqu’à la mort de la défense d’un même idéal ou d’intérêts identiques. On disait que les gouvernements et les formes politiques découlent de la race et que l’absolutisme, par exemple, est implanté par elle au cœur des sujets. Nous avons vu cependant des nations chez lesquelles il était prétendument inné, le rejeter avec horreur. Bref, dans tous les domaines, les faits ont réfuté la théorie, et il faut sans doute s’en réjouir puisqu’elle était aussi malfaisante qu’elle est erronée.

Malfaisante, elle ne l’était pas moins, d’ailleurs, au point de vue intellectuel qu’au point de vue moral. Car elle se met en opposition flagrante avec le principe même de la recherche scientifique. Au lieu de scruter patiemment les faits pour découvrir en eux-mêmes leur signification, elle les soumet arbitrairement au dogme qu’elle professe. Elle possède d’avance la solution des problèmes à résoudre. Rien de plus commode que d’invoquer le schibboleth de la race : cela permet de tout expliquer sans rien comprendre.

La vraie méthode ne serait-elle pas de procéder précisément au rebours ? Je veux dire de ne recourir au facteur de la race que quand toute autre tentative d’interprétation ayant échoué, force serait bien de s’adresser à lui. On s’apercevrait alors combien il est décevant. Pas un seul des peuples que nous connaissons, en effet, n’est de race pure ; tous sont le produit d’un mélange de populations diverses et dont le dosage, et même la composition exacte, nous échappent. Comment se reconnaître, dès lors, au sein d’une telle complexité et se débrouiller au milieu de ce chaos ? Mais il est plus évident encore que l’on se plaît trop sou-