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peu qu’il ne soit aussi célèbre que Charlemagne ou que Napoléon. Pourtant ce n’est pas à son génie, c’est à ses héritages qu’il doit sa grandeur. Avec des aptitudes médiocres, il s’est trouvé porté par les circonstances à une telle fortune qu’avant lui le seul Charlemagne et après lui le seul Napoléon ont exercé sur l’Europe une action aussi étendue. En lui viennent aboutir trois dynasties et confluer trois histoires : celles d’Autriche, de Bourgogne et d’Espagne. Petit-fils de Maximilien de Habsbourg et de Marie de Bourgogne en même temps que de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille, il se trouve posséder à la fois tant de parties de l’Europe, qu’elle semble promise tout entière à son pouvoir. Il a, en Allemagne les duchés autrichiens, le long de la Mer du Nord les Pays-Bas, sur la côte de l’Atlantique l’Espagne, au centre de la Méditerranée le royaume de Sicile. Et avec ces héritages, il a naturellement recueilli les prétentions qui s’y rattachent : celles de l’Autriche sur l’Empire, sur la Bohême et sur la Hongrie ; celles des Pays-Bas sur la Bourgogne, celles de l’Espagne sur l’Italie et les côtes barbaresques. A cela s’ajoute enfin le Nouveau Monde que les conquistadors lui soumettent. Fernand Cortez s’empare du Mexique de 1519 à 1527. François Pizare du Pérou de 1531 à 1541. L’étonnante conquête de l’Amérique du Sud est achevée avant la mort de Charles. Toutefois, trop récente encore sous son règne, elle n’a ni contribué à augmenter sa puissance, ni influé sur sa politique. Les conséquences ne s’en manifesteront que sous son fils. Pour lui, tous ses projets, comme toutes ses ressources, sont encore déterminés par la vieille Europe. Son titre de « dominateur des îles de la Mer Océane » et sa devise « plus oultre » ne sont que les présages d’un avenir qu’il a tout au plus pu pressentir.

Au moment où l’Espagne lui échut par la mort de Ferdinand (23 janvier 1516), puis l’Autriche par celle de Maximilien (12 janvier 1519), il était aussi complètement étranger à la première qu’à la seconde. Élevé dans les Pays-Bas par des seigneurs belges qui, ne voyant en lui que « leur prince naturel » n’avaient pas même pensé à lui faire apprendre ni l’allemand — qu’il ne sut jamais — ni l’espagnol, il choqua tellement les Castillans lorsqu’il apparut au milieu d’eux en 1517, ne parlant que le français et entouré de favoris flamands et wallons, qu’ils l’accueillirent par la révolte des Comuneros. Mais il ne lui fallut pas longtemps pour se composer l’attitude distante, froide et impersonnelle qui s’imposait à un prince destiné à régner sur des populations et sur des pays si divers.