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L’Empire reconstitué au profit du roi Othon, Rome et l’Italie allaient prendre, dans la politique des souverains allemands, une place de plus en plus grande. Pourraient-ils en porter le faix ? Déjà, après le règne d’Othon (973), Othon II a été obligé de marcher contre les Sarrasins du Sud, s’est fait battre par eux en Calabre et est mort peu après à Rome (983). Othon III, son fils, perdu dans des rêveries impériales, devait s’y établir, y oublier l’Allemagne et y mourir en 1002. Cependant, en Pologne, Boleslas Chrobry se rendait indépendant, l’Église polonaise et l’Église hongroise, sous les archevêques de Gnesen et de Gratz, se détachaient de l’Église allemande ; les Wendes sous Othon II s’étaient révoltés et avaient secoué le joug, et le paganisme sous Svend Gabelbart reparaissait en Danemark. Henri II, le dernier Saxon, négligea de rétablir son autorité sur les confins de son royaume pour ne s’occuper que de l’Italie, où le marquis Ardoin d’Ivrie (1014) s’était proclamé roi. Il était évident que l’idée impériale l’emportait sur l’idée royale. A vrai dire, il n’y a pas de roi d’Allemagne ; le roi s’appellera Rex Romanorum comme l’empereur : Imperator Romanorum. Il n’y a pas de mots pour désigner l’Allemagne. On la confond avec l’Empire. Ses rois s’épuiseront à maintenir celui-ci. Ils sont tous Allemands mais ils n’ont pas de politique allemande. Ils n’ont de force qu’au nord des Alpes et ils sont continuellement attirés en Italie. Ils s’useront à cette politique. L’Allemagne a été la victime de l’Empire, mais son histoire se confond avec la sienne. Les rois d’Allemagne ont évidemment entrepris une tâche trop lourde pour leurs forces. On peut se demander quel eût été le destin de l’Europe si, au lieu de s’épuiser au sud des Alpes, ils avaient continuellement poussé vers l’est. Quant au peuple allemand, qu’on ne dise pas qu’ils l’ont abandonné. Le peuple ne voulait rien. Aucun besoin, sauf la défense des frontières, ne le poussait à l’est. Les expéditions en Italie, grâce au système économique du temps, ne l’épuisaient pas. Les souverains du XIe siècle ne pouvaient pas se faire un autre idéal de leur mission qu’un idéal religieux ou si l’on veut ecclésiastique. La tradition carolingienne dominait complètement. On comprend très bien qu’Othon ne s’y soit pas dérobé. Il n’y a pas encore de politique nationale possible. La seule conception qu’un monarque fort puisse se faire de son pouvoir, est la conception de l’universalité chrétienne. En l’absence de conscience nationale, plus l’état économique est primitif, plus l’idéalisme universel est