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de la pure souveraineté politique, elle ne règne plus bientôt que pour la forme. Privée d’impôts, privée de la possibilité de payer des fonctionnaires, comment se maintiendrait-elle ? En se rejetant sur l’Église comme elle le fit en Allemagne ? Mais cela n’y était possible que parce que l’aristocratie laïque n’avait pas encore atteint son développement à l’époque des Othons. Et encore, les principautés épiscopales elles-mêmes détruisent l’État. Le monarque seul est fort par elles au point de vue militaire. Mais son action gouvernementale n’en vaut pas mieux et l’État n’en est pas moins détruit. Dans les conditions économiques du moment, la puissance du roi doit donc fatalement décliner dès qu’il n’aura plus, pour se soutenir son action militaire et le prestige personnel. En fait sa décadence se précipite depuis Charlemagne. Devant les grands, la situation du roi s’affaiblit sans cesse. Il en arrive, à la fin du ix}e siècle, à être purement électif. Il aurait pu disparaître. Il ne l’a pas fait et ceci est caractéristique[1]. Les grands n’ont pas songé qu’ils pussent se passer de roi. Il reste encore chez eux un dernier sentiment de l’unité de l’État. L’Église surtout a dû ici intervenir. Car elle ne reconnaît pas les grands, c’est le roi qui est pour elle le gardien de l’ordre providentiel terrestre. Et, de son côté, il la protège, il lui garantit ses biens. Pour les grands eux-mêmes d’ailleurs, il faut qu’il y ait un roi comme juge et arbitre, de même que dans les tribunaux, il faut un « juge » qui préside et fasse appliquer la sentence. Le roi est indispensable à l’ordre social, à la « paix » publique. Mais il est bien entendu que le roi règne et ne gouverne pas.

Et pourtant, en droit, rien ne limite son pouvoir. Il ne jure pas de capitulation. Il ne renonce à aucune prérogative. Théoriquement, il est absolu. Mais il est paralysé. Les membres n’obéissent plus à la tête. En apparence, rien n’est changé. Les rois continuent à employer toutes les vieilles formules, à recevoir dans le langage officiel toutes les marques de respect. Mais ils ont laissé passer à l’aristocratie la réalité du pouvoir. Les juristes modernes font de très belles constructions sur l’État au haut Moyen Age et sur les droits du roi : tout cela est théorique. La réalité est tout autre. L’État se désagrège, se morcelle, pour se reconstituer sous une autre forme, dans ses débris. Après Charles le Chauve, il n’y a plus de capitulaires et il faudra attendre le xiie siècle pour retrouver une nouvelle période d’activité législative du roi.

  1. L’élection du roi est un progrès en ce sens qu’elle assure l’unité monarchique ; il n’y aura, plus de partages.