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Les écrivains du temps l’ont parfaitement remarqué et noté en très bons termes.

Cette noblesse est extrêmement nombreuse, elle fourmille, là surtout où l’institution domaniale étant largement développée, la faculté de constituer des fiefs peut se développer facilement. On peut dire que l’évolution sociale est en proportion de la quantité ou plutôt de la densité de la chevalerie, qui va décroissant à mesure que l’on s’avance de la France vers l’Elbe. En France et dans les Pays-Bas, on peut admettre qu’il se rencontrait plusieurs chevaliers dans chaque ville rurale, et l’on ne sera sans doute pas loin de la réalité en estimant qu’ils représentaient au moins dans ces pays un dixième de la population totale.

Aussi, ne faut-il pas se représenter leur genre de vie comme très raffiné. Leurs fiefs et leurs petits domaines leur permettent tout juste de vivre. Leur équipement militaire se compose d’une lance, d’un casque de fer, d’un bouclier et d’un vêtement de toile. Les plus riches seulement ont une cote de mailles. Rudes soldats d’ailleurs, ils s’exercent, quand la guerre leur en laisse le temps, dans des tournois qui ressemblent à de véritables batailles. Ils s’y rendent par centaines, groupés par régions, et se chargent lourdement jusqu’à ce que plus d’un d’entre eux reste sur le terrain. Ils sont d’ailleurs les plus turbulents des hommes et se détruisent eux-mêmes avec fureur dans ces guerres privées, vendettas familiales dans lesquelles ils sont continuellement impliqués. L’Église a eu beau, dès la fin du xe siècle, en France d’abord, puis plus tard en Allemagne, restreindre les jours de bataille par la paix de Dieu, la coutume a été la plus forte. A la fin du xie siècle, le chroniqueur Lambert de Waterloo raconte que dix frères de son père furent tués le même jour par leurs ennemis dans une rencontre près de Tournai ; et vers la même époque, le comte de Flandre Robert le Frison faisant la liste des meurtres commis dans les environs de Bruges, constate qu’il faudrait plus de 10.000 marcs d’argent pour en payer les « compositions ». Naturellement, dans un tel milieu, aucune culture intellectuelle. Chez les plus riches seulement, un clerc enseigne à lire aux jeunes filles de la famille. Pour les garçons, à cheval dès qu’ils peuvent monter en selle, ils ne savent que se battre. Des chansons militaires, comme celle que chantait Taillefer à la bataille de Hastings, voilà leur littérature. Ils sont violents, grossiers, superstitieux, mais excellents soldats. Voyez à ce propos les exploits des Normands en Sicile, la conquête de l’Angleterre,