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de la tiare. Marozia et Theodora, par leurs amants ou leurs maris successifs, la font attribuer à leurs fils ; la légende de la papesse Jeanne n’est que l’exagération, poussée jusqu’à la caricature, des scandales trop réels de cette époque. Un fils de Marozia, Albéric de Tusculum, finit par devenir le seigneur de Rome et le faiseur de papes. Il avait eu soin de faire reconnaître par les Romains son fils Octavien comme son successeur et comme pape futur. Albéric mort, ce fils lui succéda comme maître de la ville et, en 955, à l’âge de 18 ans, il reçut le souverain pontificat comme on reçoit un fief, sous le nom de Jean XII. Et pourtant, c’est ce pape féodal qui devait être l’instrument de la restauration de l’Empire. Est-il besoin de dire qu’aucune autre considération ne l’y poussa que celle de son intérêt personnel et qu’il ne vit dans le grand acte qu’il accomplit alors, qu’un simple expédient. S’il appela en 962 Othon Ier à Rome, et lui plaça sur la tête la couronne impériale, c’est qu’il sollicitait en ce moment son appui contre le marquis Bérenger d’Ivrie, soi-disant roi d’Italie, son mortel ennemi. Les traditions du temps de Léon Ier et de Charlemagne étaient si dégradées que Jean XII n’a sans doute pas cru qu’Othon se ferait de l’Empire une idée plus haute que celle qu’il avait lui-même de la papauté. Personne ne comprenait plus à Rome les grands mots qui avaient jadis dominé l’histoire. Quand il s’aperçut que le nouvel empereur prenait son pouvoir au sérieux et que sa seigneurie romaine était menacée, il s’empressa de le trahir et d’intriguer contre lui. Othon revint à Rome, convoqua un synode auquel il fit déposer Jean XII, imposa aux Romains le serment de ne plus nommer de papes à l’avenir sans son consentement ou celui de son fils. Léon VIII fut élu en sa présence, puis il s’en alla. Mais les Romains n’avaient cédé qu’à la force. À peine Othon parti, ils chassèrent Léon, rappelèrent Jean XII et, après sa mort, lui substituèrent, sans s’inquiéter de leur serment, Benoît V. Othon dut revenir assiéger la ville, s’empara de Benoît qu’il envoya en exil à Hambourg et rétablit Léon. À la mort de celui-ci, Jean XIII nommé sous l’influence allemande, fut bientôt chassé par une révolte et l’empereur, en 961, dut repasser les Alpes pour le remettre sur le trône.

Vis-à-vis de l’empereur, on le voit, le pape, dans tous ces conflits n’apparaît qu’en seigneur de Rome, presque en vassal désobéissant. Le contraste éclate entre les grands souvenirs qu’évoque le nom qu’il porte et le rôle local où il est confiné. Grâce à son