Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/138

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est papiste, car il est évident que l’Église, pour être indépendante, doit se grouper sous son chef, qui est à Rome.

Ces conséquences politiques, impliquées dans la réforme, ne se sont pas manifestées tout de suite. Dès l’abord, on n’a vu dans Cluny qu’un renouveau de la vie ascétique et de toutes parts, princes et évêques lui ont demandé des moines pour régénérer les abbayes de leurs régions. Depuis le milieu du xe siècle, la réforme se répand par toute la France, en Italie, en Flandre, gagne la Lotharingie d’où, au commencement du xie siècle, elle se répand en Allemagne. Et partout où elle s’introduit, elle augmente la piété, piété extérieure qui consiste avant tout à se plier au culte, à en respecter les fêtes, à s’en remettre pour tout et en tout à l’Église, fiancée de Jésus-Christ, son représentant sur la terre, source mystique de grâce et de salut. Le nombre augmente des chevaliers entrant en religion[1], des princes mourant en costume de moine[2]; les fondations de monastères nouveaux se multiplient. Il y en a une quantité au xe et au xie siècle. L’Église apparaît tout à fait comme une institution surhumaine. On vit dans le merveilleux. Les miracles sont courants. Toute épidémie en provoque. Toute peste, toute famine donne lieu à des manifestations extraordinaires comme la grande procession de Tournai (xie siècle). A Saint-Trond, le produit annuel des offrandes des fidèles surpasse tous les autres revenus du monastère. La construction d’une nouvelle église y ayant été décidée, le peuple charrie spontanément depuis Cologne les pierres et les colonnes amenées par le Rhin. La paix de Dieu, qui interrompt les guerres privées aux grandes fêtes de l’année, est une des conséquences de cette action extraordinaire de l’Église sur les sentiments et les idées. Mais les troubles aussi qui se déchaînent au xie siècle contre les prêtres mariés en viennent directement.

Il n’a pas manqué de conservateurs pour s’alarmer de ces nouvelles dispositions. Egbert de Liège, Sigebert de Gembloux trouvent que ces moines vont trop loin ; ils s’effrayent de la hauteur et de l’absolu de leurs vues. Et cette disposition d’esprit est au début, générale dans le clergé impérial. Gérard de Cambrai ne veut pas introduire la paix de Dieu dans son diocèse. Et pourtant, tous les esprits les plus nobles et les cœurs les plus purs vont à la

  1. Poppon, devenu abbé de Stavelot.
  2. Godefroid le Barbu, duc d’Ardenne.