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quoi consistait l’essence même de la dignité impériale. Le pouvoir qu’il assumait était un pouvoir universel, aussi universel que l’obédience même de l’Église. Mais quelle contraste entre ce qui était et ce qui aurait dû être ! Sous Charlemagne, sous Louis le Pieux, sous Charles le Gros lui-même, l’Empire s’était en effet étendu à tout l’Occident, à très peu de chose près. Son étendue réelle coïncidait, si l’on peut ainsi dire, avec son universalité. Othon, au contraire, ne règne que sur l’Allemagne et sur l’Italie. En réalité, l’Empire tel qu’il l’a fondé et tel qu’il s’est continué après lui, ne consiste plus qu’en un groupement d’États auquel, à partir de Conrad II, vient s’adjoindre le royaume de Bourgogne acquis par cession de son dernier roi Rodolphe III (1033). S’il conserve le titre, il n’a plus la réalité de l’universalité chrétienne.

Il ne conserve pas davantage cette union intime avec la papauté, cette collaboration du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel dans le gouvernement du monde qui est à la base de la conception carolingienne, et qui en fait la grandeur. Sous les nouveaux empereurs, le pape, ou est en révolte ouverte contre celui qui devrait être son allié, ou en est une créature sans influence et sans prestige. Le rêve d’Othon, de renouveler le mariage mystique de la papauté et de l’Empire, s’est dissipé cruellement. La mosaïque de Saint-Jean de Latran est devenue un mensonge. Le pape, dans le nouvel ordre des choses, joue un rôle si subordonné que le roi d’Allemagne, avant même son couronnement à Rome, prend le titre de roi des Romains, indiquant ainsi son droit à la couronne que le pape, comme une sorte de maître de cérémonies, lui posera sur le front, mais qu’il ne peut songer à lui refuser.

En fait, la dignité impériale n’est plus désormais qu’un appendice, qu’une conséquence, de la royauté allemande. C’est le roi d’Allemagne, le roi reconnu et accepté par les princes allemands seuls, car ceux d’Italie et de Bourgogne n’ont jamais coopéré aux élections royales, qui porte le titre d’empereur. Mais, et on se retrouve ici en présence de la tradition, l’Empire, pour appartenir au roi d’Allemagne, n’est en rien un Empire allemand. Si altérée qu’elle soit, son universalité l’empêche de se nationaliser. Il ne peut appartenir en propre, étant romain, à aucun peuple. Pas plus que Charlemagne et ses successeurs n’ont été empereurs des Francs, pas plus Othon et ses successeurs ne sont empereurs des Allemands. Au lieu que l’Allemagne ait, si l’on peut dire, nationalisé l’Empire à son profit, il est arrivé que ses rois, par là même qu’ils se savent