Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/142

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tous empereurs désignés, se sont dénationalisés à son détriment. Leur mission, dès le premier jour de leur règne, se trouve disproportionnée à leur pays ; elle le dépasse, elle le réduit à n’être qu’une partie de l’ensemble sur lequel ils règnent. Bref, les nouveaux empereurs sont condamnés à cette situation insolite de n’être ni des souverains universels, ni des souverains allemands. La réalité les empêche d’être l’un et la tradition d’être l’autre.

Jusqu’à la fin du xiie siècle, ils ont été incontestablement les plus puissants des monarques continentaux, et pourtant, à y regarder de près, on s’aperçoit très vite que leur force est plus apparente que réelle. Le territoire impérial apparaît, à première vue, comme une masse impuissante et réunissant en soi toutes les conditions d’une expansion formidable. Baigné au nord par la Mer du Nord et la Baltique, il touche au sud les côtes de l’Adriatique et semble destiné par la possession de l’Italie et des côtes de Provence qu’il a acquises avec le royaume de Bourgogne, à dominer un jour la Méditerranée. Malheureusement, il ne constitue pas et il ne peut pas constituer un État. Le pouvoir des empereurs ne s’appuie en somme que sur l’Église ou pour mieux dire que sur les principautés épiscopales dont chacun d’eux, depuis Othon, s’est occupé d’augmenter l’étendue et les ressources, et dont ils nomment les titulaires parmi leurs fidèles. C’est d’elles qu’ils tirent la meilleure partie de leurs revenus et de leurs contingents militaires. Quant aux princes laïques, à mesure que l’évolution féodale favorisée par les causes économiques qui propagent l’institution domaniale se répandent en Allemagne, ils deviennent, oomme en France, de plus en plus indépendants. Et, à la différence du roi de France, l’empereur ne possède pas un territoire dynastique, une principauté à lui, dont le sol et les hommes lui appartiennent et où il se sente sur un terrain solide. Il est errant par l’Empire ; il n’a pas de capitale. C’est un éternel voyageur, tantôt au delà de monts, tantôt en Saxe, en Souabe ou en Franconie. Ce pouvoir errant s’accorde avec l’absence de toute administration laïque. Il n’y en a pas et il ne peut y en avoir. Car les conditions économiques qui ont ruiné l’administration carolingienne subsistent toujours et continuent de sortir leurs effets. Conrad II est obligé de reconnaître formellement l’hérédité des fiefs. Le morcellement de l’Empire en principautés s’accentue de règne en règne. Plus on va, plus l’empereur ne peut vraiment compter que sur les évêques.

Il ne faut pas s’exagérer la puissance qu’ils lui donnent. En réalité