Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/144

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qu’il a de forces, à s’user sans relâche dans ses entreprises italiennes. Tout couronnement impérial à Rome nécessite une expédition militaire et l’empereur ne se fraye qu’en combattant le chemin jusqu’à Saint-Pierre. Ici encore, il a pour lui les évêques qu’il nomme ; mais la féodalité laïque et les factions romaines n’acceptent pas le joug tudesque et profitent de la moindre occasion pour s’insurger. L’Italie ne lui rapporte rien que des fatigues, des soucis et des dangers, mais en qualité d’empereur il ne peut y renoncer et il est condamné à traîner ce boulet qui le paralyse et l’épuise. Au premier moment, la conquête de la Péninsule tout entière avait paru indispensable. Les Byzantins et les Arabes s’en disputaient le sud. Othon II se promit de les soumettre les uns et les autres. Sa formidable défaite à Rossano (932) fut du moins une leçon salutaire pour ses successeurs. Ils ne risquèrent plus d’aussi périlleuses aventures et l’on assista à ce spectacle paradoxal de voir la Sicile, l’Apulie et la Calabre, que les empereurs renonçaient à conquérir, tomber sous leurs yeux au pouvoir des Normands.

La fondation de l’État normand au sud de l’Italie semble empruntée à une chanson de gestes. Mais plus elle est extraordinaire, et mieux elle atteste la force militaire de la chevalerie du nord qui préluda par elle à ces deux autres entreprises plus étonnantes encore : la conquête de l’Angleterre et la Croisade.

En 1016, comme les Sarrasins assiégeaient Salerne, quarante chevaliers normands qui, au retour d’un pieux pèlerinage en Terre Sainte, passaient par là en suivant la route habituelle (la route des pèlerins traversait l’Italie jusqu’à Bari d’où l’on s’embarquait pour Constantinople), profitèrent de l’occasion pour rompre une lance en l’honneur du Christ. Le pays était merveilleux et l’anarchie au milieu de laquelle il se débattait, étant à la fois attaqué par les infidèles et troublé par une révolte contre les Byzantins, promettait des aventures profitables. Le bruit s’en répandit bientôt en Normandie et, par groupes, des cadets de famille et des batailleurs en quête de profits se mirent en route pour rejoindre leurs compatriotes. Ils entrèrent sans distinction au service de tous les partis, qui se disputèrent au plus offrant le concours de ces formidables guerriers. Il leur était indifférent de combattre pour ou contre Byzance, le gain étant leur seul but. Vers 1030, l’un d’eux, Raoul s’était déjà acquis une telle situation, que le prince Pandulf de Capoue lui donna en fief le comté d’Arezzo. Les Normands avaient pris pied dans le pays, ils devaient bientôt