Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/181

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Chacun d’eux est appelé, et le sait, à la défense de la ville, à prendre les armes pour elle, à lui donner sa vie. Les chevaliers de Frédéric Barberousse ont vu avec stupeur les boutiquiers et les marchands des villes lombardes leur tenir tête. Il y a, dans cette campagne, des exemples de civisme qui font penser à la Grèce antique. D’autres donnent leur fortune à leur ville, rachètent des tonlieux, fondent des hôpitaux. Les riches donnent sans compter et autant par charité sans doute que par orgueil.

Car ce sont eux qui gouvernent. Dans les villes, les bourgeois ont l’égalité civile et la liberté, mais ils n’ont ni l’égalité sociale ni l’égalité politique. La bourgeoisie, née du commerce, est restée sous l’influence et la conduite des plus riches. Sous le nom de « grands », de « patriciens », ils ont en mains l’administration, la juridiction. Le gouvernement urbain est un gouvernement ploutocratique, et il finira même, au xiiie siècle, par devenir oligarchique, les mêmes familles se perpétuant au pouvoir. Rien d’ailleurs de plus remarquable que ces gouvernements. Ce sont eux qui ont créé l’administration urbaine, c’est-à-dire la première administration civile et laïque que l’Europe ait connue. Ils instituent tout de toutes pièces. On ne fait pas assez attention à ceci : qu’ils n’ont aucun modèle et doivent tout inventer : système financier, comptabilité, écoles, règlements commerciaux et industriels, premiers rudiments d’une police de l’hygiène, travaux publics : halles, canaux, postes, enceintes urbaines, distribution d’eau, tout cela vient d’eux. Et c’est eux encore qui ont élevé les bâtiments qui font encore aujourd’hui la parure de tant de villes.

Sous eux, le reste de la population urbaine se compose d’artisans et ce sont eux qui en forment, dans chaque ville, la plus grande partie. En règle générale, ce sont de petits chefs d’ateliers, des maîtres, employant un à deux compagnons, et constituant une bourgeoisie active et indépendante. Tandis que le commerce en gros est libre, il se développe en revanche, pour la protection des artisans, une politique sociale qui est un chef-d’œuvre, aussi intéressant dans son genre que les cathédrales gothiques, et dont les dernières traces n’ont disparu que de nos jours. Le but est de maintenir toutes ces petites existences qui font la force de la ville et assurent son ravitaillement régulier. Chacun est producteur et consommateur et, à ce double point de vue, la réglementation intervient. Le pouvoir municipal se charge de protéger le consommateur. En cela, il renoue la vieille réglementation municipale