Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/182

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dont quelques traces se sont conservées peut-être en Italie. Rien de plus admirable que les précautions prises contre le produit « déloyal », la fraude, la falsification. Protection des consommateurs dans le double intérêt de la bourgeoisie locale et du bon renom de la ville au dehors.

Quant au producteur, il se protège lui-même par les corporations de métiers qui apparaissent dès le xiie siècle. Leur but essentiel est d’empêcher la concurrence et c’est là ce qui les a rendues si odieuses à l’économie libérale du xixe siècle. Il faut que chacun puisse vivre et donc qu’il conserve sa clientèle. Pour cela, il faut qu’il vende au même prix que les compagnons, qu’il fabrique comme eux. Le métier est primitivement une association volontaire comme nos syndicats. Mais il boycotte les « jaunes » qui n’y entrent pas et il finit par être reconnu par le pouvoir public. Remarquons qu’il n’a rien d’ailleurs d’une association d’ouvriers en face de patrons. C’est un syndicat obligatoire de petits bourgeois. Il est fait essentiellement pour des petits producteurs indépendants. Dans la plupart des villes du Moyen Age, il n’y a pas de prolétariat. Les artisans travaillent pour le marché local et se le réservent. Ils maintiennent leur nombre proportionnel à celui de leurs clients. Ils dominent complètement la situation. Dans ce sens là, ils ont résolu la question sociale. Mais ils ne l’ont résolue que là où la ville est un « État fermé », situation qui n’a pas été aussi générale qu’on le pense. Car il a existé pour une industrie au moins, la draperie en Flandre et à Florence, une production qui n’alimente pas le marché local, mais le marché européen. Pour elle, il n’y a ni production limitée, ni possibilité pour le petit patron d’acquérir lui-même la matière première. Il tombe donc sous la coupe du grand marchand et il se produit là une division entre le capital et le travail qu’on ne rencontre pas ailleurs. Le régime industriel est celui du petit atelier. Mais au lieu que le « maître » soit ici un entrepreneur indépendant, il est un salarié à façon et l’on trouve quelque chose qui se rapproche très sensiblement de l’industrie à domicile des Temps Modernes. Le métier existe, mais il est loin ici de protéger l’artisan avec efficacité, parce qu’il ne peut s’en prendre aux conditions du marché ni du capital. De là grèves, luttes de salaires, exode des ouvriers à Gand, crises industrielles. De là aussi un esprit inquiet, turbulent, utopique qui caractérise les tisserands depuis le xiie siècle, et qui fera d’eux les adeptes d’un communisme naïf lié à des idées mystiques ou hérétiques.