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III. Autres conséquences

L’apparition des villes, dans le courant du xie siècle, en modifiant si profondément l’état social de l’Europe, n’a pas manqué d’agir aussi sur la vie politique et religieuse. En enlevant à l’État son caractère essentiellement agricole, en y soumettant la population rurale à l’attraction et à l’influence des centres urbains, elle lui a fait regagner tout le chemin que les invasions des barbares lui avaient fait perdre. Comme dans l’Empire romain, quoique dans des conditions bien différentes, la ville reprend sa place dans la société politique. D’errante qu’elle était, l’administration commence, grâce a elle, à redevenir sédentaire. Bien plus — et c’est la le progrès le plus considérable qui se soit accompli dans l’ordre civil depuis l’époque carolingienne — elle commence en même temps à disposer d’un personnel laïque et lettré. Jusqu’ici l’État avait été forcé d’emprunter à l’Église tous ceux de ses agents pour lesquels un certain degré d’instruction était indispensable. Désormais, il va les emprunter, et de plus en plus largement, à la bourgeoisie. Car, à la différence du noble dont la profession militaire ne requiert d’autre apprentissage que celui des armes, le bourgeois par suite des nécessités du commerce éprouve le besoin d’un enseignement au moins rudimentaire. Il est indispensable au marchand de savoir lire et écrire et, dès le xiie siècle, il n’est pas une ville de quelque importance qui ne possède son école. Au début, l’enseignement y est encore tout latin, et c’est en effet en latin que sont rédigés les plus anciens actes de l’administration urbaine et les plus anciens documents commerciaux que nous possédions. Mais ce n’est là qu’un stade intermédiaire par lequel il a fallu nécessairement passer au début, dans l’impossibilité où l’on était de trouver des maîtres en dehors de l’Église. Il était évident que la population bourgeoise ne pouvait persister longtemps à employer, pour la pratique journalière des affaires, une langue qui ne fut pas celle qu’elle parlait. Dès le commencement du xiie siècle, ce qui devait arriver arrive, la langue vulgaire est employée par les scribes urbains, et il est caractéristique que cette nouveauté se présente tout d’abord dans le pays où la vie municipale est la plus développée, c’est-à-dire en Flandre. Le premier acte que l’on possède en ce genre est une charte de l’échevinage douaisien, de l’année 1204, en dialecte picard. A mesure que l’administration urbaine se complique, que le magistrat entretient une correspondance plus étendue