Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/194

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et doit juger des litiges plus importants, que la tenue des comptes communaux exige plus de soin et de connaissances, le degré d’instruction requis des clercs employés par la ville, des notaires et des avocats auxquels recourent les particuliers, augmente en proportion, et il se forme ainsi au sein de la bourgeoisie une classe de praticiens laïques bien plus adaptés, par leur connaissance du monde et des affaires, aux exigences de l’administration civile, que ne l’étaient les ecclésiastiques auxquels il avait fallu recourir jusqu’alors. A partir de la fin du xiie siècle, le nombre augmentera sans cesse de ceux d’entre eux qui entreront au service des princes ou des rois et consacreront leur intelligence au service de l’État. On peut affirmer que le premier personnel laïque que l’Europe ait connu depuis la disparition de la bureaucratie impériale romaine, lui a été fourni par la bourgeoisie.

Et, en même temps que les villes contribuent puissamment à laïciser l’État, elles exercent sur sa constitution même une influence qui, au cours des siècles, ira toujours croissant. Partout elles prennent dans la vie politique une place de plus en plus grande, soit que, comme en France, elles servent au roi à combattre les prétentions de la haute féodalité, soit que, comme en Angleterre, elles s’unissent aux barons pour arracher à la couronne les premières libertés nationales, soit que, comme en Italie et en Allemagne, elles se transforment en républiques indépendantes. L’absence de bourgeoisie dans les États slaves montre ce que les Occidentaux lui ont dû.

L’Église ne pouvait pas plus que la société civile échapper à leur action. Avec la renaissance de la vie urbaine, s’ouvre pour elle une période où la piété et la charité prennent un élan nouveau, mais où se posent aussi des questions redoutables et qu’agitent de sanglants conflits. Rien de plus ardent et de plus profond que la religion des bourgeoisies. Il n’en faut d’autre preuve que le pulullement extraordinaire des confréries, des gildes, des associations de toutes sortes, qui, dans chaque ville, se consacrent à la prière, ou au soin des malades, des pauvres, des veuves, des vieillards ou des orphelins. Dès la fin du xiie siècle, les béguines et les bégards, qui associent l’ascétisme à la vie laïque, se répandent de ville en ville. Sans la bourgeoisie, la fondation des ordres nouveaux : Franciscains (1208) et Dominicains (1215), dont l’esprit anime tout le mysticisme orthodoxe du xiiie siècle, aurait été impossible. Avec ces moines mendiants, le monachisme abandonne