Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/201

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Car la grande île se rattache naturellement aux Pays-Bas et au nord de la France dont ne la sépare que la faible largeur du Pas de Calais. C’est par là que lui était venue, avec les légions de César, la civilisation, avec les moines de Grégoire le Grand, le christianisme. Il avait fallu la perturbation de l’équilibre du monde causée par le cataclysme de l’Empire romain pour que les Anglo-Saxons pussent s’en emparer et s’y maintenir. La stagnation économique de l’Europe, après la période des invasions et la disparition à peu près complète du commerce, explique très simplement qu’ils n’aient entretenu depuis lors avec l’Europe chrétienne que des rapports exclusivement religieux. Charlemagne ne songea pas à les réunir à l’Empire et, après lui, la faiblesse de ses successeurs fut un nouveau motif de durée pour leur isolement. Cependant, à la même époque où les invasions danoises les menaçaient d’une domination scandinave, le réveil de la navigation commençait à rétablir entre eux et leurs voisins des côtes prochaines de Flandre et de Normandie, les relations qu’imposait la proximité géographique. Bruges et Rouen entretiennent avec l’Angleterre, depuis la fin du xe siècle, une navigation de plus en plus active. Avec le retour d’une civilisation plus avancée, l’ordre des choses, qu’avait interrompu durant si longtemps la poussée barbare, reprenait la direction naturelle.

La conquête normande n’est que la conséquence et la consécration définitive de ce que l’on pourrait appeler l’européanisation de l’Angleterre. Si les faits qui la provoquèrent furent dus à des circonstances fortuites, si l’orientation de l’île vers le continent eût pu sans doute se produire d’une manière très différente de celle que nous connaissons, cette orientation elle-même répondait trop profondément à la nature pour ne pas devoir s’accomplir tôt ou tard.

La maison ducale de Normandie était étroitement apparentée à Édouard le Confesseur, dont la mère Bertha était une princesse normande. Se voyant sans enfants, Édouard avait promis sa succession au duc Guillaume, disposant ainsi du pouvoir royal dont, suivant la coutume anglo-saxonne, l’assemblée du peuple seule pouvait décider. Elle ne tint aucun compte de la résolution du roi. A sa mort (1066), elle élit Harold, fils de Godwin qui, du vivant du faible Édouard, avait joué auprès de lui le rôle d’un maire du palais. La guerre était inévitable et l’issue n’en était pas douteuse.

En réalité, le Royaume anglo-saxon était très faible. La vieille