Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menacés par les progrès de leur suzerain, ils cherchassent leur appui dans la grande île dont ils étaient les proches voisins et où les villes industrielles de leur pays s’approvisionnaient de laine. Les villes, qui en France soutenaient la couronne, se rangèrent en Flandre du côté de leur prince, non point comme une vue superficielle des choses pourrait le faire croire, par un prétendu sentiment de race, mais tout simplement en raison de leurs intérêts économiques. On ne remarque aucune différence entre leur attitude, qu’elles soient wallonnes de langue comme Lille et Douai, ou germaniques comme Bruges et Gand. La politique des princes flamands prit donc, dès le commencement du xiiie siècle, une ampleur qui ne permet plus de la considérer comme une simple politique de résistance féodale. D’une part, elle inaugure avec l’Angleterre une alliance qui, fondée sur l’intérêt réciproque, devait se perpétuer à travers les siècles et devenir un des facteurs les plus importants de l’indépendance future des Pays-Bas (Hollande et Belgique), de l’autre, en s’appuyant sur les bourgeoisies, elle se colore d’une apparence nationale en identifiant la cause de la dynastie avec la leur.

La longue guerre de Philippe Auguste contre Philippe d’Alsace (1180-1185) ne mit encore en présence que le roi et le comte de Flandre et finit, après des alternatives de succès et de revers, par un traité à l’avantage du premier. Mais dès 1196, Baudouin IX s’alliait à Richard Cœur de Lion et, quatre ans plus tard, parvenait à se faire restituer par le roi la région septentrionale de l’Artois, cédée par son prédécesseur. La Croisade qui périodiquement venait traverser et interrompre le cours de la politique européenne et à laquelle Philippe Auguste, Richard et Philippe d’Alsace avaient pris part en même temps quelques années plus tôt, attira en 1202 le comte Baudouin vers l’Orient. L’année suivante, il recevait à Sainte-Sophie la couronne de l’éphémère Empire latin de Constantinople et mourait mystérieusement peu de temps après (1205) au cours d’une expédition contre les Bulgares. Il laissait deux filles en bas âge que Philippe Auguste se fit livrer par leur oncle Philippe de Namur. Il donna l’aînée, Jeanne, en mariage à un prince de son choix, Ferrand de Portugal, après avoir pris la précaution de lui faire prêter un serment spécial de fidélité qui fut ratifié par les villes et les barons de Flandre. Il comptait pouvoir tout se permettre avec ce nouveau vassal qui lui devait la fortune. Il avait fait occuper par ses gens Aire et Saint-Omer, et par l’octroi de fiefs et de pensions s’était acquis la connivence de la plupart des