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toujours et y refoulant de plus en plus l’influence féodale. Les grands officiers de la couronne, tous pris dans la grande noblesse, et qui avaient été jusqu’alors de vrais tuteurs de rois, disparaissent ou sont réduits à des fonctions purement honorifiques. L’administration de la chancellerie rompt avec les usages surannés et la phraséologie inutile du temps carolingien, pour adopter des procédés plus pratiques. Un dépôt d’archives est constitué au Louvre et l’on surprend dans les mesures adoptées pour la reddition des comptes annuels des baillis, comme une première ébauche de la future Chambre des comptes.

On peut donc considérer Philippe Auguste comme le véritable créateur du pouvoir monarchique, non seulement en France, mais sur le continent[1]. Le surnom d’Auguste lui a été donné par Rigord : quia rem publicam augmentabat[2].

Avant lui, les rois les plus puissants, les empereurs et jusqu’à Charlemagne lui-même, n’ont pu gouverner que grâce au prestige et à la force qu’ils tenaient de leurs victoires ou de l’appui de l’Église. Leur pouvoir dépendait essentiellement d’eux-mêmes et se confondait pour ainsi dire avec leur personne. Sans finances et sans fonctionnaires, ils étaient réduits à n’agir que dans la mesure où ils étaient soutenus par l’Église et obéis par l’aristocratie, celle-ci devenant de plus en plus indépendante et celle-là de plus en plus hostile. Désormais, au contraire, le roi dispose d’une administration permanente à laquelle il donne le mouvement et qui est tout à la fois indépendante de l’Église et de la féodalité. Les droits que la tradition lui reconnaît peuvent devenir une réalité et, en se réalisant, constituer l’État. De la vieille monarchie carolingienne, la jeune monarchie française conserve le principe fondamental : le caractère religieux du pouvoir royal. Depuis la fin du ixe siècle, il l’avait comme embaumée, conservée intacte malgré sa faiblesse au milieu des usurpations féodales. On vient de voir comment elle avait repris une vigueur nouvelle et comment, à côté de l’État anglais, elle avait constitué en France, dans des conditions bien différentes et bien plus difficiles, un État rival.

Les comtes de Flandre qui, sous Louis VI, avaient lutté avec la royauté contre l’Angleterre, prirent sous Philippe Auguste le parti de l’Angleterre contre la royauté. Il était tout naturel que,

  1. Sauf en Sicile, dont les fondements de l’État sont byzantins.
  2. (2) Cf. le titre de l’empereur : « Mehrer des Reiches ».