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chies de France et d’Angleterre acceptassent bénévolement la tutelle impériale ? De même que la féodalité grandissante avait travaillé pour Grégoire VI contre Henri IV, de même les États nationaux en formation devaient travailler pour Adrien IV et Alexandre III contre Frédéric Barberousse. Ce fut le malheur de la politique impériale, chaque fois qu’elle prétendit s’imposer à la papauté, que de susciter contre elle les forces les plus actives de l’Europe et de les orienter vers Rome.

A cela s’ajoute l’affaiblissement constant de l’empereur dans l’Empire lui-même. Depuis le Concordat de Worms, il ne nomme plus les évêques, et le droit qu’il conserve de les investir de leurs principautés est la plupart du temps illusoire. En fait, les élections épiscopales sont le plus souvent déterminées par les princes laïques qui imposent aux chapitres des parents ou des alliés de leurs maisons. Ainsi, cette Église impériale que depuis Othon Ier les souverains allemands ont comblée de droits et de territoires, leur échappe et, si l’on peut ainsi dire, se féodalise. Les grands vassaux dont elle avait jusqu’alors contrebalancé la puissance, n’ont plus rien à craindre d’elle, et les principautés ecclésiastiques, cessant d’être à la disposition de l’empereur, ne sont plus que de nouveaux éléments de désagrégation politique. Au moment même où en France le roi commence à faire reculer devant lui la féodalité, en Allemagne la féodalité s’impose à la couronne. Rien de plus frappant que de comparer à cet égard, dans les deux pays, l’influence des princes sur le pouvoir royal. Tandis qu’au cours du xiie siècle, le roi de France n’est plus électif qu’en théorie et à partir de Philippe Auguste redevient héréditaire, les princes allemands accentuent sans cesse leurs droits de disposer du trône. A la mort de Henri V, ils le refusent à son plus proche parent, le duc Frédéric de Souabe, pour le donner à Lothaire de Saxe (1125) ; puis, à la mort de Lothaire, ils reviennent à la maison de Souabe et nomment Conrad III (1137). Bien entendu, ce qui détermine leur choix, ce sont les promesses et les concessions des candidats, si bien que le pouvoir royal s’affaiblit à mesure qu’il se transmet.

Comment penser, dans de semblables conditions, à reprendre la querelle avec Rome ? Au lieu de traiter le pape d’égal à égal, Lothaire n’obtient la couronne impériale qu’au prix d’une révision défavorable du Concordat de Worms et de son acquiescement à la prétention du pape de n’accorder le couronnement à l’empereur que s’il en a approuvé l’élection. Conrad III fut plus faible encore.