Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

barde s’était couverte d’une végétation serrée de communes urbaines à travers lesquelles il lui faudrait se frayer passage pour arriver à Rome. Dans toutes les cités du bassin du Pô, la bourgeoisie, enrichie par le commerce et l’industrie, avait arraché le gouvernement aux évêques et fondé des républiques municipales ne tenant plus aucun compte des droits de l’Empire et se considérant comme indépendantes à son égard. Mais Frédéric avait pour ces bourgeois, dans son ignorance de la civilisation urbaine, le même dédain que la noblesse allemande, et pour leurs constitutions républicaines le mépris du successeur de Constantin et de Justinien. Il le fit bien voir quand, en 1154, il passa pour la première fois les Alpes. Après avoir convoqué dans la plaine de Roncaglia (près de Plaisance), les princes et les villes de la Haute Italie, il prétendit leur imposer un serment de fidélité et leur fit connaître les devoirs qu’ils avaient à remplir envers lui. Il y eut des résistances. Frédéric crut en venir à bout par la terreur, assiégea Tortone et la rasa. Puis, après avoir ceint à Pavie la couronne de roi des Lombards, il marcha vers Rome où l’attendait la couronne impériale.

La « ville » était alors en pleine révolte. Rien de commun d’ailleurs entre le mouvement de son peuple entretenu par l’Église comme il avait jadis été entretenu par les empereurs, et ceux de l’active et énergique bourgeoisie lombarde. L’Antiquité a laissé à Rome des traces trop profondes pour que les hommes qui l’habitent puissent s’affranchir des souvenirs et des grandeurs qui les entourent et dont ils vivent. Périodiquement, il leur est arrivé de s’en griser, de se croire encore les maîtres de la terre et les descendants du peuple roi. La seule organisation municipale que Rome ait jamais eue, est celle qui a conquis le monde et qui est morte de sa conquête. Devenue le centre de la politique universelle, puis de l’Église universelle, cette ville appartenait trop à l’Europe chrétienne pour pouvoir s’appartenir à elle-même. Un simple conseil communal ne pouvait prendre la place du Sénat, et aussi bien, est-ce le Sénat que les Romains ont cru rétablir à chacune des crises de leur histoire si agitée, le Sénat antique, législateur et administrateur suprême des choses humaines.

On était au plus fort de l’une de ces crises au moment où Barberousse s’approchait du Tibre. Le pape avait fui ; Arnould de Brescia dominait dans la ville et rêvait de réformer à la fois et l’Église et l’Empire. Le mysticisme religieux s’alliait chez lui au mysticisme politique. Il voulait ramener l’Église à la pureté et à la pauvreté