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En Italie, tout subit leur action ou y contribue. La population rurale est soumise et ne travaille que pour elles ; la noblesse y possède ses « palais » crénelés et surmontés de tours, dont l’aspect contraste aussi violemment avec les châteaux des barons du nord éparpillés dans la campagne, que l’existence de leurs habitants avec celle de la chevalerie septentrionale.

Il faut sans doute attribuer cette concentration sociale vers les villes à la persistance de la tradition antique. L’organisation municipale romaine s’était trop profondément imprimée sur l’Italie, y avait trop ramassé et aggloméré le peuple autour des villes pour qu’au moment où celles-ci se réveillèrent sous l’excitation du commerce, elles ne reprissent pas aussitôt une situation tout à fait dominante. La vie municipale redevint donc aussi prépondérante en Lombardie et en Toscane qu’elle l’avait été dans l’Antiquité. Mais si ses conditions matérielles se retrouvent à peu près les mêmes, l’esprit a changé. Le municipe romain ne jouissait que d’une autonomie locale subordonnée à la puissance formidable de l’État. La ville italienne du Moyen Age, dans le nord et le centre de la Péninsule tout au moins, est une république[1].

Dès le xie siècle, la classe marchande et industrielle qui commence à se constituer profite, on l’a vu, du conflit du pape et de l’empereur, pour se soulever contre les évêques et leur arracher l’administration des villes. Les premières communes italiennes ont été jurées par les « patarins »[2] au milieu des troubles de la guerre des investitures et de l’exaltation mystique. Leur origine est purement révolutionnaire et, dès leur naissance, elles ont contracté les habitudes de violence qui les caractérisent jusqu’au bout. De gré ou de force, la commune s’impose dans chaque ville à l’ensemble de la population et ses consuls électifs, comme les échevins des villes belges, possèdent à la fois le pouvoir judiciaire et l’administration. Mais, à mesure que la bourgeoisie se développe, les contrastes sociaux s’accentuent dans son sein, et les partis se forment suivant les intérêts divergents qui se trouvent aux prises. Les noms qui les désignent font suffisamment connaître leur nature. Celui des grands se compose de la noblesse urbaine à laquelle s’associent bon nombre de marchands enrichis ; celui des petits

  1. Exception faite pour le royaume de Sicile dont on parlera plus loin.
  2. Le nom de Patarius paraît être une simple déformation de celui de Cathare.