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comprend les corporations d’artisans de toute sorte dont le nombre se multiplie à mesure que la prospérité augmente. L’absence d’un pouvoir princier supérieur aux partis et capable de modérer leurs querelles donne aux luttes que suscitent entre les deux groupes la question des impôts et l’organisation du pouvoir municipal une âpreté et un acharnement qu’elles ne présentent nulle part ailleurs. A partir du milieu du xiie siècle, la guerre civile devient une épidémie chronique. Les grands l’emportent-ils, les petits sont impitoyablement massacrés ; s’ils succombent, on les chasse de la ville, on détruit leurs maisons ou leurs palais et, en attendant l’heure de la revanche, ils tiennent la campagne aux environs, pillant et harcelant leurs compatriotes.

Habituellement ces bannis trouvent protection et alliance dans une ville voisine. Car si la guerre règne en permanence au sein des bourgeoisies, c’est elle aussi qui, en général, domine les rapports des villes entre elles. Constituant autant de centres économiques indépendants, chacune d’elles ne songe qu’à soi, s’efforce d’assujettir les paysans et les populations des alentours à l’obligation de la ravitailler, s’ingénie à forcer le transit des environs à confluer vers elle, à exclure ses rivales de son marché et à leur enlever, s’il se peut, leurs débouchés. Ainsi le choc des intérêts est aussi violent au dehors qu’au dedans. Le commerce et l’industrie se développent au milieu de combats. Dans tous ces petits mondes fermés et emmuraillés qui se guettent du haut de leurs tours, l’énergie se dépense avec une égale vigueur à produire et à détruire. Chaque ville se figure que sa prospérité dépend de la ruine de ses rivales. Aux progrès de l’économie urbaine correspond une politique de particularisme municipal de plus en plus étroit et féroce. Les haines ne font trêve que sous l’impression du péril commun. Il a fallu les menaces et les brutalités de Frédéric Barberousse pour réunir contre lui la ligue lombarde et amener la victoire de Tagliacozzo.

Si les Hohenstaufen n’ont pas réussi à imposer leur césarisme aux bourgeoisies italiennes, il leur ont fourni en revanche un nouvel élément de discorde. Ayant cessé d’être dangereux après Tagliacozzo, l’empereur pouvait servir d’auxiliaire dans les luttes civiles, à ceux qui se réclameraient de lui ; ce furent ordinairement les grands. D’Allemagne, les noms de Guelfes et de Gibelins passèrent donc en Italie et ils s’y acclimatèrent si bien qu’ils y restèrent en usage jusqu’à la fin du xve siècle, le premier désignant les adversaires, le second les alliés de l’intervention impériale alors même