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qui fait penser, avant la lettre, au mercantilisme, tandis que la création de l’Université de Naples et la tolérance laissée aux Musulmans reporte la pensée vers le despotisme éclairé. Il y a entre le Frédéric II du xiiie siècle et celui du xviiie siècle plus d’un point de contact qui s’explique facilement si l’on pense que tous deux peuvent tout se permettre avec le peuple qu’ils gouvernent. Les constitutions promulguées par Frédéric en 1231 complètent les institutions normandes dans le sens de ce que l’on pourrait appeler une bureaucratie. Dans l’Europe du xiiie siècle, le royaume de Sicile est quelque chose d’unique avec ses constitutions savantes et despotiques, empruntées à ce monde byzantin et à ce monde musulman qui s’y rencontraient quand les Normands s’y établirent. Les États européens n’arriveront guère qu’aux Temps Modernes à une administration aussi parfaite. Mais on a ici la preuve qu’une constitution qui ne sort pas du peuple, n’influe pas sur sa civilisation et que l’organisation n’est pas tout. Cette Sicile prussianisée est bien supérieure par son gouvernement à tout le reste de l’Europe. Mais elle n’a pas produit Dante, ni l’art gothique et elle ne participera. pas plus tard à l’éclosion de la Renaissance.


II. — Frédéric II


La destinée des Hohenstaufen les avait poussés de plus en plus à faire de l’Italie la base de leur politique. Leur caractère allemand s’affaiblit sans cesse de Conrad IV à Frédéric Barberousse, et de celui-ci à Henri VI. Avec Frédéric II l’évolution est achevée. Né d’une mère sicilienne et élevé en Sicile, il est lui-même un pur Sicilien. Ses cheveux blonds, comme plus tard les cheveux blonds de ce pur Espagnol qu’a été Philippe II, ne peuvent prouver qu’une chose, si l’on veut toutefois les considérer comme un indice de « race » germanique, c’est que la race n’exerce aucune action sur les tendances morales et la tournure d’esprit.

Grégoire IX et Innocent IV ont accusé Frédéric non seulement d’hérésie, mais de blasphème, et ses ennemis l’ont tenu pour l’auteur d’un célèbre pamphlet où Moïse, Jésus et Mahomet sont également traités d’imposteurs. Il ne croyait pas en Dieu (fidem Dei non habuit) dit Salimbeni, qui l’a connu personnellement, et il faut évidemment entendre par là qu’il ne croyait pas en l’Église. Ses