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aussi bien sur la Méditerranée que sur l’Adriatique, leur situation est aussi défavorable qu’il se peut. Jamais d’ailleurs le gouvernement du pape n’a pu s’y faire respecter. Les grandes familles nobles, depuis qu’elles ont cessé de se disputer la tiare, n’en conservent pas moins une puissance considérable tant à Rome même que dans la banlieue, et leurs guerres privées sont incessantes. Ajoutez à cela l’état d’insécurité auquel les prétentions impériales condamnent le pays, et à Rome même la difficulté de tenir en paix un peuple vaniteux, orgueilleux et désœuvré, toujours prêt à suivre les tribuns qui le grisent des grands souvenirs de l’Antiquité. Il est caractéristique de constater que les plus grands papes, ceux qui déposaient ou excommuniaient des rois, un Innocent III, un Innocent IV n’ont jamais vécu en repos dans leur capitale, et se sont trouvés exposés sans défense aux soulèvements de la rue. Quoique le peuple romain vive de la papauté, la papauté est comme campée au milieu de lui. Rome est le centre de l’Église universelle, le siège de la politique ecclésiastique, mais ce n’est pas dans ses murs que se concentre la vie de l’Église. Elle n’y possède aucun grand établissement d’enseignement et aucun des docteurs de l’époque, ni un Albert le Grand, ni un Thomas d’Aquin n’y a vécu. Le mouvement artistique n’y est pas moins insignifiant que le mouvement intellectuel. Aucune source de nouvelles tendances religieuses n’est partie de Rome. Saint François vient d’Assise, et Saint Dominique, d’Espagne. On dirait que dans l’air où s’est développé le gouvernement de l’Église, ni l’art, ni la foi, ni la science n’ont pu prospérer.

C’est un autre monde que présente à l’extrémité de la Péninsule le royaume de Sicile. S’il est aussi riche que l’Italie du nord, il est en revanche aussi apathique en politique qu’elle est fiévreuse et exubérante. L’administration byzantine et l’administration arabe y ont plié le peuple à la discipline de l’État. Aucune autonomie, pas de communes, de grandes villes gouvernées administrativement, un peuple accoutumé à payer l’impôt et à obéir, des fonctionnaires salariés et amovibles, un souverain tout puissant, voilà le spectacle que présente le pays dont le développement agricole laisse en arrière le reste de l’Europe. Sa population est la plus dense qui existe. On l’estime au xiiie siècle à 1.200.000 habitants (1275), c’est-à-dire à plus que celle de l’Angleterre. Henri VI, puis Frédéric II y ont développé l’administration dans le sens du despotisme pur. Il y a là une administration des domaines, des monopoles et des magasins d’État, une organisation fiscale ignorant le privilège,