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indéfinies où rien ne protège contre l’agression des voisins. Dès lors la guerre y prend des allures de guerre d’extermination. Le vainqueur ne se croit en sûreté que s’il a dépecé l’État ennemi, que s’il a extirpa ses institutions, que s’il en a détruit la langue et la religion pour les remplacer par les siennes. Ainsi ont agi les colons allemands du xiie siècle envers les Slaves de Poméranie et de Prusse, ainsi les Hohenzollern en agirent plus tard à l’égard de la Pologne, et la Russie à l’égard des Allemands des provinces baltiques. Dans de telles conditions d’existence les mœurs s’endurcissent : l’énergie, l’esprit de discipline et d’organisation dominent parce qu’ils sont indispensables ; la force paraît la raison suprême et le seul soutien du droit. C’est là ce qu’on rencontre dès l’origine dans l’Allemagne à l’est de l’Elbe. Ces terres de colonisation restent bien en arrière de l’Allemagne de l’ouest et du sud pour la culture intellectuelle. On n’y pourrait guère citer avant le xviiie siècle de savants, de poètes et d’artistes. Le travail et la lutte les prennent tout entières. Parmi les margraves de Brandebourg et les Chevaliers Teutoniques du xiiie siècle, dans la petite noblesse qui les emploie et qui combat pour eux, se rencontrent dès lors les premiers caractères de ce que l’on appellera plus tard l’esprit prussien.


CHAPITRE III

LA FRANCE

I. — La France et la politique européenne

En renversant à Bouvines la coalition formée contre elle, la royauté française avait prouvé sa force militaire et pris du même coup le premier rang en Europe. De l’Allemagne, où sa victoire avait assuré la couronne à Frédéric II, elle n’avait plus rien à craindre. Elle profita de la situation pour tourner ses forces contre l’Angleterre. Les circonstances la favorisaient à souhait. Révoltés contre Jean sans Terre, les barons anglais appelaient le fils de Philippe Auguste à défendre la Grande Charte et lui offraient la couronne. Pendant un moment, le futur roi de France fut roi d’Angleterre. Mais la mort de Jean (1216), en réveillant au profit de son fils Henri III le loyalisme féodal et le sentiment national, rendit