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circonstances se modifient. La lutte se livre maintenant plus encore pour le royaume de Sicile que pour l’Empire, et le royaume de Sicile est un État. Mais il faut observer tout d’abord que cet État n’est pas indépendant, puisqu’il est un fief du Saint-Siège, et ensuite, et surtout, qu’il n’est pas un État national. Sa population hétérogène ballottée depuis des siècles entre des conquérants étrangers supporte le gouvernement despotique qu’ils lui infligent, et l’on ne surprend chez elle aucune velléité de confondre sa cause avec la leur. Les Siciliens ont fourni à Frédéric II des impôts et des soldats. Mais il savait très bien que sa querelle leur était indifférente. Il n’a pas songé un instant à les appeler à se prononcer sur la légitimité de ses droits. Il s’est borné à les faire défendre théoriquement par des légistes.

Quelle différence entre ce despote absolutiste, ce Hohenstaufen, auquel un mariage politique a donné la Sicile, et les rois d’Angleterre et de France. En Angleterre, depuis Jean sans Terre, les libertés consacrées par la Grande Charte se sont affermies. Sous le long règne de Henri III (1216-1272) les barons et les bourgeoisies conduits par Simon de Montfort ont imposé à la couronne le contrôle d’un conseil d’État. Des représentants des villes apparaissent à côté de ceux de la noblesse dans l’Assemblée nationale que le roi s’engage à convoquer trois fois par an et qui prend officiellement, pour la première fois en 1258, ce nom de Parlement qui, dans l’histoire de l’Europe moderne, est appelé à de si glorieuses destinées. Ses attributions se précisent sous Édouard Ier, et son droit essentiel, point de départ de la première des constitutions libres de l’univers, celui de consentir à l’impôt, est formellement reconnu en 1297. Désormais la nation et le souverain sont associés dans le gouvernement du pays. Si des limites sont tracées au pouvoir personnel du prince, si, seul en Europe parmi ses pareils, il doit renoncer aux guerres de pure ambition dynastique et se consacrer uniquement aux entreprises qu’approuve et que subsidie son peuple, quelle force en revanche lui donne cette adhésion Dès la fin du xiiie siècle, la politique anglaise est vraiment, dans la pleine acception du mot, une politique nationale. Elle l’est à l’intérieur comme à l’extérieur. De là le contraste frappant qu’elle présentera à travers les siècles, d’agitation et de luttes intestines au dedans, coïncidant au dehors avec une continuité dans les vues, une persistance et une opiniâtreté dans l’exécution qui ne s’est jamais rencontrée ailleurs que