Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/292

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dans ce pays où les entreprises de la couronne sont nécessairement celles de la nation[1].

Cette grande force qui communique à l’Angleterre de la fin du Moyen Age un caractère déjà si moderne, la France en est privée. Elle en possède une autre, moins profonde, mais pour le moment aussi puissante, dans l’incomparable prestige de son roi. Car ce qu’elle est devenue, elle le doit uniquement à la royauté. C’est la royauté qui l’a affranchie du particularisme féodal, qui l’a défendue contre l’ennemi extérieur, qui a protégé ses villes naissantes, qui lui a donné les institutions financières et administratives qui mettent le peuple à l’abri de la violence et de l’exaction. Contre l’oppression qu’exerçait une dynastie toute puissante, l’Angleterre a créé la garantie du Parlement ; contre les abus résultant de la suprématie féodale, la France a trouvé la protection du roi. Aussi le roi y jouit-il de la même popularité qui, dans l’État voisin, s’attache au Parlement. Dans un pays comme dans l’autre, le sentiment national s’accorde avec la constitution politique et s’est développé en même temps qu’elle. Il se distingue surtout en Angleterre par la fierté, en France par la piété monarchique. Il donne à chacun des deux peuples son caractère individuel, son tempérament collectif, si l’on peut ainsi dire, produit de son évolution historique, que l’on méconnaît étrangement quand on invoque pour se rendre compte ce mystérieux facteur de la race qui peut tout justifier parce qu’il n’explique rien.

Philippe (IV) le Bel, qui succéda à son père Philippe le Hardi en 1285, apporta en montant sur le trône un nouvel agrandissement au royaume. Sa femme était l’héritière du royaume de Navarre et, ce qui était plus important, du comté de Champagne qui fut réuni au domaine royal. Sauf la Guyenne possédée par le roi d’Angleterre, la Bretagne qui, depuis toujours, conservait une indépendance peu gênante à cause de sa position excentrique, et la Flandre, tous les grand fiefs étaient maintenant rentrés sous le pouvoir direct de la couronne. Philippe le Hardi s’était laissé entraîner par Charles d’Anjou dans une guerre de prestige contre l’Aragon. Son fils s’empressa de la terminer, et se garda de gaspiller ses forces au profit des ambitions siciliennes du roi de Naples. Il

  1. Il faut remarquer que Simon de Montfort et les barons ont en même temps obligé le roi à sanctionner les libertés anglaises et à renoncer à ses projets sur la Sicile.