Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/300

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ceux qu’elle y faisait passer par l’intermédiaire de ses banquiers italiens, se trouvèrent interrompus. Plus ses besoins d’argent étaient grands et sa fiscalité développée, plus ce coup qui la frappait, était sensible. Un siècle auparavant une telle riposte eût été impossible, faute des moyens pour l’exécuter. Mais la royauté française possédait maintenant un pouvoir si étendu et une administration si complète et si bien dressée que l’ordre donné fut ponctuellement accompli. L’État attaqué se défendait par ses propres moyens et l’Europe assista à ce spectacle nouveau d’un souverain résistant aux ordres de Rome en leur opposant une simple mesure administrative. L’imprévu de l’événement désorienta Boniface VIII. Son intervention dans la guerre de Sicile, et dans ses propres États la révolte des Colonna, lui imposaient un pressant besoin d’argent. Il fallait avant tout que la frontière de France se rouvrît. Pour l’obtenir, il se résigna à faire au roi des avances qui durent coûter beaucoup à son caractère altier. Sans retirer la bulle, il l’atténua au point de lui ôter toute importance pratique, et la canonisation de Saint Louis, prononcée en 1297, put paraître un hommage rendu à la maison de France.

L’incident à peine clos, il s’en ouvrait un autre. Comme ses prédécesseurs, Boniface VIII se berçait de l’espoir d’unir l’Europe en une nouvelle Croisade. La guerre entre la France et l’Angleterre, les deux plus puissants États de l’Occident, rendant une telle entreprise irréalisable, il offrit sa médiation aux belligérants. Il fut entendu, pour ménager leur susceptibilité, que ce n’était là qu’une démarche toute privée et faite en nom personnel. Pourtant, la paix ayant été solennellement promulguée dans une bulle, Philippe le Bel y vit une atteinte à ses droits souverains, l’affirmation de la suprématie temporelle de la papauté sur sa couronne, et il en manifesta aussitôt son ressentiment en accordant ouvertement son appui aux Colonna.

Au moment où la situation allait ainsi se tendant de plus en plus, s’ouvrit le grand jubilé de l’an 1300. C’était la première solennité de ce genre que voyait l’Europe, et elle fut pour le pape un triomphe incomparable. De tous les points de la chrétienté, les fidèles affluèrent à Rome par centaines de milliers (on dit 200.000), pour gagner les indulgences acquises à ceux qui visiteraient le tombeau des apôtres. Les hommages de vénération et d’amour que leurs masses enthousiastes prodiguèrent à Boniface VIII l’enivrèrent d’orgueil. Il oublia les mésaventures des dernières années ;