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Pierre un pontife incapable d’oublier qu’il était né sujet du roi de France. Clément V ne se contenta pas de faire entrer en masse dans le Sacré Collège des parents et des protégés de son souverain ; imbu de la prééminence que sa patrie a acquise en Europe, il est insensible à la majesté de Rome et à la tradition douze fois séculaire qui a fait de la ville des empereurs, la ville des papes. Pour ce Français, l’aurea Roma n’est qu’une ville comme une autre, malsaine par son climat, peu sûre par sa population mobile, et qui lui paraît sans doute bien inférieure à Paris. La papauté n’est-elle pas où est le pape ? Et qu’importe dès lors qu’il habite au Latran et pontifie à Saint-Pierre ? Clément V s’est fixé à Avignon ; ses successeurs devaient y demeurer jusqu’en 1378. Avignon sans doute est une possession de l’Église romaine. Mais entourée de domaine du roi de France, de fait elle est en France et l’étranger ne s’y est pas trompé. En abandonnant les bords du Tibre pour ceux du Rhône, les papes descendaient de la position qu’ils avaient occupée depuis un siècle entre Dieu et les rois et se réduisaient sinon toujours en fait, du moins en apparence, au rang de protégés et d’instruments de la couronne de France. C’est à cela qu’avait conduit la politique de Boniface VIII ! Qu’importait désormais le procès fait à sa mémoire ? Philippe le Bel continua encore quelques années à effrayer le pape. Après lui avoir arraché en 1312 la condamnation des Templiers, dont il convoitait les richesses, il n’en parla plus. A quoi bon ? Que restait-il désormais des hautaines déclarations de la bulle Unam sanctam et quelle possibilité que les papes, en s’adressant à l’avenir aux rois de France, leur parlassent encore sur ce ton ? Il est vrai que les propositions qu’elle renfermait, continuaient à subsister. En théorie, les prétentions de la papauté étaient intactes. En réalité, elles n’étaient plus, au moins à l’égard de la France, que des déclamations inoffensives. Philippe le Bel n’en demandait pas davantage. En politique, le résultat pratique seul est à envisager et il avait été plus décisif et surtout plus rapide qu’on n’eût osé l’espérer. Dans le choc de l’Église avec l’État national, celui-ci s’était montré le plus fort. La papauté chancelait à son tour sur les ruines du pouvoir impérial qu’elle avait abattu. Il semblerait presque qu’en quittant Rome pour Avignon, elle ait voulu chercher sur un théâtre moins en vue, à dissimuler son humiliation.

Ainsi le xiiie siècle vit à la fois sa plus haute puissance et sa chute. Au moment où, triomphant de l’Empire, elle croyait pouvoir prendre la direction de l’Europe, l’unir dans un même élan contre