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à renverser son adversaire. Il pouvait employer contre lui une arme terrible et sa politique n’avait pas coutume d’épargner l’ennemi.

La situation personnelle de Boniface VIII à son égard était, en effet, très mauvaise. L’orthodoxie du roi était trop complète et trop évidente pour qu’il fût possible de lancer contre lui, comme jadis contre Frédéric II, la redoutable accusation d’hérésie. Sur le terrain religieux, sa situation était inébranlable et celle du pape ne l’était pas. L’élection de Boniface, accomplie du vivant de son prédécesseur et grâce à l’abdication de celui-ci, était un fait si étrange que ses ennemis n’avaient pas manqué de l’invoquer depuis longtemps comme une cause de nullité. Les Colonna allaient répétant que le pape n’était qu’un intrus et Philippe le Bel avait trop d’intérêt à ce qu’il en fut ainsi pour ne pas croire ou feindre de croire qu’ils avaient raison. Au mois de juin 1303, une nouvelle assemblée des Ëtats généraux approuva son dessein de soumettre la question à un Concile général. L’élan était donné et fut soigneusement entretenu par les partisans de la couronne. L’Université de Paris, des monastères, des villes, se mirent à l’envi à réclamer le concile, pendant que le gouvernement travaillait les États étrangers en faveur de ce projet.

Cependant Nogaret était envoyé en Italie pour s’y mettre en rapports avec les Colonna, s’emparer de la personne du pape et essayer de lui arracher son abdication. Il le surprit le 15 août à Anagni. La violence ne put avoir raison du vieillard. Menacé de mort par les Colonna, il demeura inébranlable, opposant à leurs fureurs une majesté hautaine et restant digne de lui-même dans sa catastrophe. Mais ce dernier coup l’avait brisé. Délivré par un soulèvement populaire, il ne rentra à Rome que pour y mourir le 12 octobre 1303.

Sa mort ne tranchait rien. L’appel du roi de France au Concile allait peser comme une menace sur ses successeurs. Benoît XI (1303-1304) vécut trop peu de temps pour résoudre cet angoissant problème. Clément V (1305-1314) n’y échappa qu’en engageant la papauté dans une crise qui acheva de ruiner l’incomparable prestige dont elle avait joui au XIIIe siècle.

Son élection, à laquelle les cardinaux ne se résignèrent qu’après onze mois de délibérations, était déjà un désaveu éclatant jeté à Boniface. Car le nouveau pape était Français et en le nommant le Conclave se courbait sous la volonté de Philippe le Bel. Il allait s’apercevoir bientôt qu’il venait de placer sur le siège de Saint