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les invasions, tous les centres urbains de l’Occident se dépeuplent et tombent en ruines, elle conserve une population de plusieurs centaines de milliers d’habitants, dont les besoins de l’alimentation mettent en réquisition tous les territoires qui bordent la Mer Noire, la Mer Egée, la Mer Adriatique. C’est elle qui anime le commerce et la navigation, et c’est l’attraction qu’elle exerce sur tout l’Empire qui est la plus forte garantie de son unité. Par elle, l’Empire byzantin présente un caractère urbain, si l’on peut ainsi dire, beaucoup plus marqué que l’ancien Empire romain. Car Rome ne faisait qu’attirer vers elle l’exportation des provinces sans rien leur rendre en retour ; elle se bornait au rôle de consommateur. Byzance, au contraire, consomme et produit. Elle n’est pas seulement une résidence, elle est encore une place de commerce de premier ordre où affluent les produits d’Europe et d’Asie, et une ville d’industrie très active.

Par la langue, elle reste une ville grecque, mais c’est une ville grecque plus qu’à demi orientalisée. Incomparablement plus riches, plus prospères, plus peuplées que la Thrace ou la Grèce propre, les provinces d’Asie Mineure exercent sur elle un ascendant irrésistible. La Syrie, la plus active d’entre elles, y jouit d’une influence prépondérante. L’art byzantin n’est en somme qu’une transformation de l’art hellénique par l’intermédiaire de l’art syriaque.

Pour la pensée et la science grecques, il ne subsiste que ce que le christianisme a bien voulu en laisser subsister, c’est-à-dire pas grand chose. Justinien, on le sait, a fait fermer l’École d’Athènes où se conservait encore un écho assourdi des philosophies de l’Antiquité. Mais les dogmes et les mystères de la religion fournissaient matière assez abondante à cette passion de dialectique qui, depuis des siècles, caractérisait la pensée hellénique. Depuis l’apparition du christianisme, c’est en Orient un pullulement d’hérésies, provoquant des batailles dans les grandes villes, ameutant des conciles les uns contre les autres et mettant aux prises les trois patriarches de Byzance, d’Antioche et d’Alexandrie. Toutes, naturellement, ont leur répercussion dans la capitale, et dans toutes l’empereur doit prendre parti, car la conception antique qui fait de lui le chef de la religion comme le chef de l’État se perpétue à Constantinople. Tout débat théologique devient ici affaire de gouvernement. Les partis travaillent la cour et cherchent à s’assurer l’appui tout puissant du souverain. Aussi l’orthodoxie et l’hérésie, suivant le choix qu’il fait entre elles, sont-elles tour à tour la religion d’État.

Avec tout cela, l’Empire confiné en Orient n’en est pas moins