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sentant, l’Église avait si complètement triomphé de l’Empire, avait si bien secoué toute intervention temporelle dans son gouvernement, avait entouré les élections pontificales de tant de garanties d’indépendance, enfin et surtout les fidèles vénéraient si profondément en elle une autorité d’essence divine, que l’idée même de lui imposer un pape par la violence et en opposition avec les règles traditionnelles du conclave, eût été inconcevable. L’État avait pu, à la fin du xiiiesiècle, au moins en France et en Angleterre, repousser l’ingérence de l’Église dans ses affaires, mais il ne pouvait songer et il ne songea pas à soumettre l’Église à la sienne. Tout ce qu’il désirait, c’était se concilier la neutralité ou la bienveillance de l’Église ; c’était l’empêcher d’agir par la force énorme de la hiérarchie contre ses desseins ou ses intérêts ; c’était même, s’il se pouvait, s’en faire une alliée contre ses ennemis de l’extérieur. Les rois de France avaient habilement profité du séjour de la papauté à Avignon pour s’assurer ces avantages. Leur attitude à son égard avait été complètement différente de celle des empereurs, à l’époque où l’Empire signifiait encore quelque chose. Ne prétendant pas, à la différence de ceux-ci, posséder le moindre droit au gouvernement de l’Église universelle, ils n’avaient eu avec elle que des rapports purement extérieurs, de puissance à puissance. Entre le pape et l’empereur, la démarcation entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel avait toujours été contestée parce qu’ils se trouvaient l’un et l’autre dans l’Empire. Pour le roi de France, qui était en dehors, elle était fort nette, tracée par l’indépendance du roi dans son royaume. Et le pape profitait trop avantageusement de la protection du roi pour penser à altérer les bons rapports qu’il entretenait avec lui en ressuscitant les vieilles querelles. S’il conservait à l’égard des rois d’Allemagne toutes ses prétentions, il n’en parlait plus à Paris. Il s’entourait de plus en plus de cardinaux français et, comme on l’a déjà vu, c’était à des Français encore qu’était réservée une bonne partie des bénéfices dont il disposait si largement. Ainsi l’harmonie régnait, en fait, entre l’Église et l’État, chacun évitant les conflits. En fait existe un concordat non écrit mais qui n’en est pas moins réel. Les rapports entre le roi et le pape sont encore facilités par le fait qu’en France la question du pouvoir temporel ne se pose pas, Avignon et le comtat Venaissin sont si peu importants que le roi ne songe pas à en contester la possession au pape. On a trop peu remarqué cela, me semble-t-il : il me paraît évident que le modus vivendi du pape