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la vacance du Saint-Siège. Dix jours plus tard, les cardinaux donnaient la tiare à Alexandre V (1409-1410). Puis ils se dispersèrent, remettant à un concile futur la réforme de l’Église. L’avenir paraissait plus sombre que jamais, car ni Grégoire, ni Benoît ne reconnaissaient comme valable la sentence qui les avait frappés. Il y avait désormais trois papes qui se disputaient le gouvernement de la chrétienté. Et comme s’il ne suffisait pas que l’Église fut ébranlée dans son gouvernement, elle était en même temps déchirée par l’hérésie, rappelant ainsi le spectacle de la décadence carolingienne à l’époque où les fils de Louis le Pieux se disputaient la couronne tandis que la féodalité grandissante faisait crouler la constitution politique de l’Empire.

Le Wyclifisme avait trouvé dans Jean Hus un apôtre bien plus ardent et que les circonstances devaient rendre autrement dangereux que le fondateur même de la doctrine. De même que les succès de Wyclif en Angleterre s’expliquent, on l’a vu, par le mécontentement politique que la papauté avait suscité dans ce pays, ceux de Hus sont dus à l’hostilité croissante qui, depuis le milieu du xive siècle, opposait les Tchèques de Bohême à l’Allemagne[1]. Le sentiment national agit en faveur de chacun d’eux, mais d’une façon très différente et qu’explique naturellement la composition des deux peuples. En Angleterre, où la population était homogène, il valut à Wyclif le concours de tous ceux qui repoussaient dans la papauté l’immixtion d’une puissance étrangère. En Bohême, où les Tchèques vivaient à côté des immigrants que l’Allemagne avait déversés dans le pays depuis le xiie siècle, il lança vers Hus toute la partie slave de la nation qui salua en lui l’auteur de son affranchissement à l’égard d’une Église dans laquelle elle voyait surtout l’Église des Allemands. Dès le début, Hus ne s’appuya d’ailleurs que sur ses compatriotes de langue tchèque. Le zèle religieux dont il les enflamma par son éloquence et sa conviction s’augmenta de toute la force des passions nationales, et l’on assiste à ce spectacle singulier d’un théologien devenu à ce point l’apôtre de son peuple qu’aucune autorité n’eût osé songer à lui résister. L’excommunication fulminée contre lui, l’interdit lancé sur la ville de Prague (1412) ne ralentirent pas sa propagande qui déjà commençait à lui recruter des partisans en Pologne, en Hongrie, en Croatie.

L’œuvre de réforme ecclésiastique que le Concile de Pise avait

  1. Sur cette hostilité et ses origines, voyez p. 319 et sq. et p. 369.