Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dès lors, l’organisation ecclésiastique aussi bien que l’organisation civile devaient disparaître. Il fallait établir en ce monde le royaume de Dieu, en reconstituant, d’après les saints livres, l’humanité tout entière. Rêve enthousiaste d’un peuple jeune et plein d’illusions, et dont la conduite n’a pas d’autre pendant dans l’histoire que celle des Bolcheviks russes de 1917. On se mit à l’œuvre aussitôt, avec la conviction que la nation tchèque était l’élue du Seigneur. Le clergé catholique fut dispersé, ses biens confisqués, les églises et les monastères détruits. Une constitution patriarcale, imitée de l’Ancien Testament, fut donnée au peuple, et l’on éleva sur l’emplacement du bourg de Kozihradek où Hus avait passé ses dernières années, la ville sainte de Tabor, de laquelle les nouveaux Hébreux reçurent le nom de Taborites. La mort subite du roi de Bohême Wenceslas (16 août 1419) leur laissait d’autant mieux le champ libre que son successeur était l’odieux Sigismond, le Judas du martyr de Constance. La révolution était donc maîtresse du pays. Les Allemands de Bohême, restés fidèles à l’Église, courbèrent la tête sous la tempête. Cependant, de toutes parts, les mystiques exaltés que recelaient les associations de Bogards ou le prolétariat des villes industrielles se hâtaient vers ce pays où venait d’être proclamé le règne de Dieu, et leurs aspirations communistes ou leurs visions paradisiaques suscitaient au milieu du rigorisme biblique des Taborites, des sectes singulières. Celle des Adamites, fondée par un tisserand belge, caractérise curieusement l’exaltation de leurs adeptes. Les disciples du nouvel Adam, établis dans une île de la rivière Nezarka, prétendaient y mener, dans le communisme le plus complet, une vie édénique. Comme les premiers hommes, ils avaient supprimé l’usage des vêtements et leur morale était aussi primitive que leur costume. Ils causèrent bientôt un tel scandale que Jean Ziska, en 1421, dut les faire massacrer.

La foi des Hussites était trop puissante pour ne pas les pousser à la répandre autour d’eux. Dès 1419, la Bohême est devenue un foyer d’ardente propagande, d’où une religion révolutionnaire déverse comme une lave ses doctrines brûlantes. Les régions slaves voisines, la Pologne, la Moravie, la Silésie, où la langue de ses apôtres est facilement comprise, et où les masses du peuple vivent misérables sous l’oppression de la noblesse, lui fournissent aussitôt des milliers d’adeptes. Elle s’infiltre même parmi les pauvres, dans les contrées allemandes d’Autriche. Et son prestige apparaît plus éclatant encore par les triomphes qu’elle remporte. Les victoires