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Le règne d’Édouard III (1327-1377) s’ouvrait donc comme celui d’Édouard Ier par une nouvelle victoire de la nation sur la couronne. Mais en reconnaissant comme son grand-père le fait accompli, en s’associant franchement au Parlement, Édouard III devait justement faire profiter la couronne de cette victoire de la nation. Plus il laisse le Parlement intervenir dans sa politique, plus cette politique devient populaire. L’approbation donnée par les Lords et les Communes (qui se distinguent justement en deux chambres sous le règne d’Édouard) aux entreprises du roi, les solidarise avec elles. Si cher qu’elles coûtent, l’honneur de la nation y est désormais engagé et s’y confond avec celui du roi. Sans doute le Parlement n’a rien fait pour pousser le roi à la guerre contre la France. Édouard semble même au début avoir été si peu sûr de ses dispositions qu’il a commencé par emprunter à des banquiers florentins l’argent nécessaire à ses préparatifs. Mais sa banqueroute en 1339 l’a obligé à s’adresser désormais et jusqu’au bout à son fidèle Parlement. Ainsi, sa querelle est devenue celle de son peuple. L’Angleterre s’est sentie engagée d’honneur dans la guerre de son roi ; elle s’est acharnée par sentiment d’orgueil national, le plus puissant de tous les sentiments. Personne naturellement n’a pu croire, en entreprenant cette guerre, où elle conduirait. Les Anglais ne se sont sûrement pas attendu à rencontrer en France un amour-propre et des passions nationales égales aux leurs. Ayant déchaîné une lutte qui ne tolérait pas de compromis puisqu’elle n’allait à rien moins qu’à donner à leur roi la couronne de France, ils ont dû aller jusqu’au bout, et ne déposer enfin les armes que quand l’épuisement les leur a fait tomber des mains.

Comment pourtant comprendre que la France n’ait pas réussi à repousser tout de suite et de façon décisive l’agression d’Édouard III ? Toutes les chances, en effet, semblaient être pour elle. Non seulement elle avait l’avantage de se défendre sur son propre sol, mais sa population était certainement deux ou trois fois plus élevée que celle d’Angleterre, et sa richesse était bien plus grande. Que l’on observe de plus que ses défaites de Crécy, de Poitiers, d’Azincourt, n’ont rien eu de décisif. Si graves qu’elles aient été, elles n’ont pas anéanti ses forces et ne l’ont pas empêchée de continuer à tenir la campagne. La cause de son impuissance est ailleurs. Il faut la chercher dans les troubles auxquels elle fut en proie à partir du milieu du xive siècle et qui s’expliquent eux-mêmes en grande partie du moins par la nature de l’État français, tel qu’il s’est constitué de Philippe Auguste à Philippe le Bel.