Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/344

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Cet État, on l’a vu suffisamment plus haut, est essentiellement monarchique. En dehors du roi, il n’y existe aucun pouvoir politique indépendant ; il n’y a que des fonctionnaires ou des conseils, dont aucun ne tire son origine, comme le Parlement d’Angleterre, d’une source distincte de la couronne. L’autorité royale qui, de règne en règne s’est plus largement épandue sur le pays et en a aggloméré les parties disjointes par la féodalité princière, se manifeste essentiellement par la protection et la justice. Le roi est l’avoué de son royaume, le premier justicier de sa terre, le gardien de ses sujets. C’est de là que lui vient son rôle social, et c’est de là qu’il tient sa popularité. L’État auquel il préside est essentiellement basé sur l’idée de droit. Ses fonctionnaires principaux sont les baillis, officiers de justice : son organe central le plus important, le Parlement de Paris, une cour de justice. Et le sentiment populaire qui conserve l’image de Saint Louis, rendant la justice sous les chênes de Vincennes, est ici parfaitement d’accord avec la réalité. Philippe le Bel a été jusqu’au bout de cette conception et son conflit avec le pape n’est au fond qu’une querelle sur la souveraineté juridique du roi.

Seulement l’État, pour se maintenir, a de plus en plus besoin de finances. Or, tout ce qui subsistait de l’ancienne fiscalité romaine, vieux impôts transformés en redevances, a passé dès le Xe siècle aux grands vassaux. Pour vivre, la cour n’a que ses domaines et leurs revenus. Elle y ajoute les revenus de la monnaie qu’elle reprend aux grands vassaux très largement depuis Philippe Auguste[1]. Elle a recours à l’emprunt. Cela ne suffit pas. Il faudrait un impôt, mais elle n’en dispose pas. De là des expédients d’altération monétaire sous Philippe le Bel, taxation du clergé qui fait partir le pape en guerre, suppression des Templiers qui constitue un scandale, tripotages avec des Italiens qui grugent le trésor. L’idée ne vient pas qu’on peut frapper un impôt sur les sujets, car ce n’est pas là une idée de droit. La notion de l’État étendant sa compétence jusqu’à puiser dans la fortune privée de ceux qu’il protège n’est pas encore née. Au point de vue financier, l’évolution est donc beaucoup plus arriérée qu’au point de vue juridique. On n’a pas dépassé en somme, à la fin du xiiie siècle, la conception qui confond les finances publiques avec les revenus du roi. De là, dès que la Guerre de cent ans éclatera, des embarras extrêmes.

  1. La taille n’est pas proprement un impôt, mais un droit permanent.