Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 366 —

de tribus que l’on rencontre à peu près identiques chez tous les peuples agricoles à l’époque où ils deviennent sédentaires. Cela s’explique sans peine par l’absence de ce contact direct avec la civilisation romaine qui avait tiré les Germains de la barbarie. Le progrès d’une société est d’autant plus rapide qu’elle s’ouvre davantage aux influences extérieures. L’éloignement des Slaves occidentaux eut pour conséquence de les attarder longtemps dans l’étroitesse et l’indigence d’une vie à l’écart.

Il est inutile d’insister ici, en dépit de leur intérêt local, sur des mœurs et des institutions qui n’ont exercé aucune action sur l’Europe. Des princes entourés chacun d’une noblesse de fidèles dont ils dépendent plus encore qu’elle ne dépend d’eux, puis l’un de ces princes s’élevant peu à peu au-dessus de ses rivaux, s’emparant de leurs terres, et se ralliant leurs hommes, voilà en quelques mots ce que présentent d’essentiel les premiers siècles de l’histoire tant de la Bohême que la Pologne. L’introduction du christianisme qui ne fut point apporté dans ce pays par la conquête étrangère, ne changea rien à leur état politique. Le caractère religieux qu’il donna au pouvoir princier n’empêcha pas celui-ci de devoir compter avec une aristocratie foncière dont il lui était impossible de s’affranchir parce que, réunie, elle était plus puissante que lui. Rien d’ailleurs ne rappelle dans les États slaves la féodalité de l’Europe occidentale. Et cela se comprend aisément. Les grands vassaux de l’Occident ne sont que les descendants de fonctionnaires royaux qui ont profité de l’impuissance du roi à maintenir l’administration de l’État pour usurper les pouvoirs qu’ils auraient dû exercer en son nom. Mais ni en Bohême, ni en Pologne, on ne rencontre dès l’origine ce caractère administratif que la tradition romaine a imposée à l’Occident. Le prince n’y est qu’un chef militaire entouré de compagnons nobles qui l’assistent en temps de paix et le représentent comme starostes ou châtelains dans les diverses parties du pays. Ils ne sont pas ses serviteurs, mais ses auxiliaires naturels. Le gouvernement s’exerce en commun par eux et par le prince et aucun d’eux ne peut s’approprier le pouvoir qui lui est momentanément délégué dans sa circonscription. L’indigence même des attributions politiques du prince et le contrôle permanent exercé sur elles par l’aristocratie, a rendu impossible dans les États slaves ces principautés territoriales qui se forment partout depuis le xe siècle en France et en Allemagne. Le pouvoir de la grande noblesse foncière, tant en Bohême qu’en Pologne, s’est exercé dès le