Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 372 —

prise. Au-dessus d’elle, il n’y a que le roi dont elle reconnaît l’autorité à condition qu’il ne règne que pour elle et avec elle. L’esprit qui l’anime, et qui n’a cessé de l’animer est un esprit de liberté, mais d’une liberté de caste et qui devait donner de plus en plus à l’État polonais, jusqu’à son effondrement final, le caractère paradoxal d’une démocratie aristocratique.

Ainsi l’œuvre rêvée par Casimir était inexécutable. Ses tentatives de centralisation royale devaient, qu’il le voulût ou non, amoindrir la noblesse. Elle l’a si bien compris qu’elle lui a donné le surnom de « roi des paysans » pendant que la misérable plèbe agraire qu’elle a dominé jusqu’à nos jours, a conservé pieusement à travers les siècles le souvenir de ce prince dont elle avait pu espérer un moment la fin de sa misère.

Avec Casimir s’éteignait en 1370 la dynastie des Piastes. Son successeur le roi Louis de Hongrie s’empressa de composer avec la noblesse. Les concessions qu’il lui fit furent le premier de ces Pacta Conventa qu’elle imposa si souvent depuis lors à la couronne et qui lui abandonnèrent de plus en plus le sort du pays. Le premier usage qu’elle fit d’ailleurs de ces prérogatives eut pour conséquence une augmentation extraordinaire de la puissance polonaise.

Casimir avait conquis la Galicie et la Volhynie et étendu par elles les frontières du royaume jusqu’au territoire lithuanien. Depuis le commencement du xive siècle, en effet, les Lithuaniens des bords de la Baltique, repoussés de la mer par l’Ordre teutonique, s’étaient tournés vers le sud ; ils avaient étendu leur pouvoir sur les principautés de la Russie occidentale et atteint les bords de la Mer Noire. Restés païens, ils commençaient cependant, au contact de leurs sujets orthodoxes, à s’imprégner de leur religion et leur adhésion future à l’Église grecque paraissait certaine. Or, à la mort de Louis de Hongrie (1382), la noblesse polonaise, pour échapper à son frère Sigismond, offrit au prince Jagellon de Lithuanie la main de la fille cadette du roi, Élisabeth, à condition qu’il se fît baptiser et professât la foi catholique. Le marché fut accepté. Jagellon devint roi de Pologne, sous le nom de Wladislas II et son peuple adopta en même temps que lui la religion qu’il venait de prendre. La principauté lithuanienne s’adjoignait du même coup au royaume, quoique restant pour la forme principauté indépendante (1386)[1].

  1. L’union perpétuelle de la Pologne et de la Lithuanie fut proclamée en 1499.