Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/390

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Depuis leur établissement en Prusse, les Teutoniques avaient mené contre les Lithuaniens, sous prétexte de paganisme, une guerre d’extermination. On vient de voir pourtant que ces barbares ne tenaient guère à leur culte. Mais il était plus profitable et, si extraordinaire que soit un tel mot, plus plaisant de leur faire la chasse car c’étaient de véritables chasses à l’homme que l’Ordre organisait contre eux. Le bruit s’en était répandu dans toute l’Europe, et les princes et seigneurs de l’Occident se rendaient, comme on se rend à une réunion sportive, à ces expéditions qui avaient lieu chaque hiver, quand la glace avait rendu praticables les marais du pays. Une telle dégradation du sentiment religieux et une telle brutalité de mœurs montre à quel point l’Ordre s’était dépouillé à la longue de l’esprit de prosélytisme chrétien et du mysticisme héroïque de ses premiers temps. Le monachisme militaire créé pour combattre l’Islam ne pouvait conserver ses traditions qu’en restant fidèle à sa mission primitive, comme ce fut le cas pour les chevaliers de Saint-Jean à Rhodes, ou pour ceux d’Alcantara et de Calatrava en Espagne. Au contraire, détournés de l’Orient, les Teutoniques comme les Templiers ne se distinguèrent plus que par l’énergie qu’ils appliquèrent, les uns comme les autres, à la poursuite de buts purement temporels. Leur règle, se retournant pour ainsi dire contre les sentiments qui l’avaient inspirée au début, n’utilisa plus la force qu’elle leur donnait que pour diriger leur énergie vers la recherche de la fortune et de la puissance. De même que les Templiers depuis le milieu du xiiie siècle devinrent une redoutable puissance financière, de même les Teutoniques, après avoir détruit les païens de Prusse, exploitèrent le pays en « économes consommés ». On peut dire qu’ils y furent les premiers des « agrariens ». Leurs vastes domaines administrés par des grosschäfjer fournissaient de leurs blés un commerce d’exportation considérable dont Bruges était l’étape principale. Les sommes que l’on en retirait étaient employées en placements avantageux ou prêtées à intérêt. Mais l’Ordre ne formait qu’une oligarchie de chevaliers ; leur orgueil et leur égoïsme finirent par exaspérer la population dont ils se considéraient comme les maîtres. Les villes, depuis la fin du xive siècle, et la noblesse des campagnes ne supportaient plus leur joug qu’avec impatience.

Le nouveau roi de Pologne ne manqua pas de profiter de ces circonstances. Comme Lithuanien, il était un fougueux ennemi des Allemands. Son avènement rendait une guerre avec les Teutoniques