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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/400

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au nord des Pyrénées. Ils ne pouvaient que l’entraîner dans des conflits perdus d’avance avec les rois de France, et Jayme II eut le bon sens de les céder à Saint Louis au prix du renoncement de ce dernier à la suzeraineté sur la Catalogne (1258). Ce qui entraîna l’Aragon vers l’Europe et lui donna, dès le xive siècle un caractère moins étroitement espagnol que celui de la Castille, c’est sa situation au bord de la Méditerranée. Par elle, il est sollicité à prendre sa place dans ce commerce du Levant qui est par excellence le grand commerce du Moyen Age. Barcelone ne tarda pas à s’engager dans la voie ouverte par Venise, Pise et Gênes, et ses marins du xiie siècle se rencontrent avec les marins italiens et provençaux dans les ports de Syrie et d’Égypte. C’est cette activité maritime, bien plus que la parenté de Pierre III (1276-1285) avec Manfred, qui a attiré l’Aragon dans les affaires de Sicile et a fait prendre place à l’Espagne, dès 1285, dans ce royaume, point sensible de la politique européenne, d’où elle devait plus tard se répandre sur le reste de l’Italie. Sous ses successeurs, l’expansion méditerranéenne du royaume continue. Alphonse III (1285-1291) conquiert tout l’archipel des Baléares qui, après avoir quelque temps formé un royaume vassal, devait être annexé sous Pierre IV (1336-1387) à la couronne. Alphonse IV (1327-1336) lutte avec Gênes pour la possession de la Corse et de la Sardaigne. Sous Alphonse V, en 1443, le royaume de Naples est conquis. Ainsi, l’Aragon est une puissance méditerranéenne. C’est lui qui a ouvert à l’Espagne, séparée de l’Europe par les Pyrénées, la seule voie par où elle puisse l’atteindre, la voie d’eau. Que l’on pense à ce qu’aurait été le règne de Charles-Quint s’il n’avait pas trouvé la Sicile dans son héritage.

Pourtant, la vraie Espagne, ce n’est pas l’Aragon, c’est la Castille. Elle a pris la part la plus grande et la plus glorieuse à la guerre contre les Maures ; elle en peut revendiquer les héros les plus populaires, le Cid au xie siècle, Perez de Castro au xiiie, et les « romances » qui chantent leurs exploits lui appartiennent aussi. La noblesse y est plus nombreuse et plus influente qu’ailleurs. C’est là que s’est formée et la langue et le caractère national. Sans doute, elle n’est pas sans entretenir quelques rapports avec l’étranger. Ses ports du Golfe de Gascogne pratiquent un cabotage assez actif vers les côtes de Flandre, et en 1280, ses marchands obtiennent à Bruges une charte de privilèges. Mais ni son commerce, ni sa flotte ne peuvent soutenir la comparaison avec ceux de Barcelone. Rien d’étonnant dès lors si ses rois ne sont pas entraînés comme ceux d’Aragon