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dans la grande politique européenne. On a vu plus haut qu’après s’être laissé induire par une ambition assez singulière à acheter le titre de roi des Romains, Alphonse X (1252-1284) n’a pu en tirer aucun avantage. Les querelles dynastiques qui marquent les règnes de Sanchez IV (1284-1295) attaqué par les infants de la Cerda, ont provoqué une intervention d’ailleurs malheureuse du roi de France ; plus tard, Pierre le Cruel (1360-1369) contre son compétiteur Henri de Transtamare secondé par Du Guesclin, fera alliance avec le Prince Noir. C’est là à peu près tout ce à quoi se réduit l’histoire extérieure de la Castille avant le moment où l’Espagne, devenue subitement une grande puissance, débordera sur le monde. Jusqu’à la fin du xve siècle, son action est très étroitement circonscrite par les limites de la Péninsule.

Elle ne s’est pas bornée à y combattre les Maures. Touchant à l’ouest le Portugal, à l’est l’Aragon, elle s’est trouvée constamment impliquée avec eux dans des conflits que la parenté des familles royales ne fournissait que trop d’occasions de faire naître, soit à l’occasion de la régence d’un prince mineur, soit à propos de la légitimité de l’héritier du trône. Ce sont ces querelles continuelles entre les États chrétiens qui permirent, malgré sa faiblesse, au royaume de Grenade de se maintenir. Il lui arriva même d’y prendre part et de prolonger ainsi des différends qui lui étaient si utiles.

En dépit de leurs luttes dynastiques, la Castille, l’Aragon et le Portugal n’en présentent pas moins une ressemblance frappante, un air de famille, qu’explique très facilement l’analogie de leur histoire. Sauf en Catalogne, que la prépondérance de Barcelone a marquée d’un caractère spécial resté frappant jusqu’à nos jours, ce sont partout les mêmes institutions et les mêmes groupements sociaux. La noblesse essentiellement militaire conserve longtemps vis-à-vis de la royauté une attitude hautaine et arrogante dont le droit des grands d’Espagne de se couvrir en présence du souverain est resté plus tard, sous le monarchie absolue, le souvenir inoffensif mais significatif. Pour résister à cette noblesse de ricos hombres et de hidalgos, les rois, depuis le commencement du xiiie siècle, s’appuient sur la bourgeoisie. L’intérêt politique leur a, en cela, dicté leur conduite comme il l’a fait aux rois de France depuis Louis VII. Mais l’alliance des villes et de la couronne a été bien plus intime et a duré bien plus longtemps en Espagne qu’en France. Pourquoi ? Peut-être en raison de l’arrogance plus grande de la noblesse. Ce que les bourgeois attendent du roi, c’est la paix, la sécurité