Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/432

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système qui devenaient de plus en plus apparents avec le temps : routine des procédés, élévation des prix, restriction de plus en plus grande de chaque profession aux mains d’un petit nombre de maîtres, mais leur crainte de la démocratie les leur fit tolérer comme le meilleur moyen de maintenir les « compagnons » dans l’obéissance. Ils se contentèrent de supprimer petit à petit les entraves que les règlements municipaux apportaient à l’essor du commerce et de la circulation : étapes, halles, courtages, etc. Ils s’appliquèrent surtout à abolir les privilèges politiques des métiers, à s’assurer la haute main, ou tout au moins le contrôle, sur les administrations urbaines, et malgré des résistances qui se manifestèrent en France pendant les troubles de la Ligue, et dont les dernières se rencontreront encore au xviiie siècle, ils y réussirent partout. Les villes n’auraient pu conserver intacte leur autonomie politique et économique qu’en conservant leur force militaire. Or que pouvaient encore leurs métiers contre les armées régulières, leurs vieilles murailles contre l’artillerie ? Elles ne se maintinrent que là où, comme en Allemagne, l’État était impuissant. Partout ailleurs elles se courbèrent. Les quelques essais de résistance qu’elles essayèrent çà et là comme les Liégeois contre les ducs de Bourgogne, les Gantois contre Charles-Quint, les Rochellois contre François Ier, montrèrent que leurs revendications ne s’inspiraient plus que d’un passé disparu sans retour. La politique démocratique dont la petite bourgeoisie s’était faite si ardemment la protagoniste au xive siècle, est désormais une cause perdue. De même que le capitalisme l’emporte dans le grand commerce, l’État l’emporte en politique.

Sous l’influence des conditions nouvelles qui s’imposent à la vie sociale, la conception de la bourgeoisie se transforme. Les caractères politiques et juridiques qui lui avaient assigné sa place spéciale dans la société du Moyen Age, à côté du clergé et de la noblesse, vont s’atténuant de plus en plus. A partir du commencement du xvie siècle, la bourgeoisie apparaît surtout comme une classe d’hommes vivant de l’exploitation ou des revenus de leur fortune. Le simple travailleur manuel, d’après les idées régnantes, cesse de lui appartenir. Elle repousse d’elle les artisans en qui la force avait résidé jadis. Elle affecte des allures nettement ploutocratiques qui, par en bas, l’opposent aux petites gens tandis que, par en haut, elles la rapprochent de la noblesse. Sans doute, elle présente dans chaque pays des nuances spéciales et il est impossible d’en faire une description qui soit à la fois applicable aux Pays-Bas, à la