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France, à l’Angleterre. Mais il suffit de constater que partout c’est désormais la richesse qui en est le signe par excellence. Le bourgeois du Moyen Age avait été privilégié en droit ; le bourgeois des Temps Modernes est privilégié en fait par sa situation économique.

Mais une autre différence encore sépare celui-ci de celui-là. Au Moyen Age, le bourgeois n’existe que par sa ville et pour sa ville ; la commune dont il est tenant est la garantie indispensable de sa personne et de ses intérêts ; son existence comme ses idées sont également dominées par le groupe municipal auquel il appartient. Plus rien de tel désormais. Pour le bourgeois moderne, la ville n’est plus qu’une résidence et un centre d’affaires ; elle cesse de concentrer sur elle-même ses affections, ses idées et ses intérêts. Les sources de sa fortune sont dispersées de toutes parts bien loin des limites de la banlieue communale. S’il est manufacturier, les ateliers qui dépendent de lui se trouvent à la campagne ; s’il est commerçant, ses correspondants et ses marchandises sont éparpillés dans les ports et les marchés lointains ; s’il est rentier, son argent est engagé à grande distance dans des emprunts ou des compagnies de toute espèce. Sa vie dépend maintenant de multiples conjonctures ; elle est mêlée à toute l’existence de la nation, et aux rapports de celle-ci avec les nations étrangères. Il doit être tenu au courant de ce qui se passe par le monde. De là le développement de la poste et bientôt celui de la presse qui, à ses débuts, n’a d’autre but que de mettre à la portée de tous les nouvelles qui jusqu’alors ne s’étaient transmises que par les correspondances privées.

La liberté économique, indissolublement liée au développement du capitalisme, a tout de suite imposé ses conséquences au monde des travailleurs. Si la législation corporative du Moyen Age n’empêchait pas le maître artisan de dominer la campagne, elle imposait pourtant une limite à l’exploitation de celui-ci. Les règlements de métier fixaient les droits de l’ouvrier, protégeaient son salaire, le garantissaient contre des abus trop criants, lui fournissaient souvent des secours en cas de maladie ou de vieillesse et lui permettaient même parfois une certaine intervention dans la nomination ou le contrôle des chefs de la corporation. D’ailleurs les compagnonnages qui se formèrent depuis le xve siècle entre les compagnons d’une même profession non seulement dans leur ville mais même dans tout un ensemble de villes ou un pays tout entier, créèrent des liens d’assistance mutuelle que l’on peut considérer comme un rudiment d’organisation ouvrière. Mais de tout cela, nulle trace dans le