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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/441

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Sans doute, les symptômes d’une orientation nouvelle des esprits au nord des Alpes vers le milieu du xve siècle ne sont encore ni très nombreux, ni très accusés. La scolastique dans la science, le style gothique dans les arts, les genres traditionnels dans la littérature en langue vulgaire conservent une domination incontestable. Le mysticisme du xive siècle se prolonge et trouve dans l’Imitation de Jesus-Christ, son expression la plus complète. Les grands peintres flamands ou wallons des Pays-Bas, les Van Eyck, les de la Pasture, les Memling ne sont que les continuateurs géniaux d’une école déjà ancienne. Enfin, quand vers 1450 apparaît, cette formidable invention de l’imprimerie, personne ne prévoit son avenir. Gutenberg ne s’est fait aucune idée de la puissance future de la presse. Il n’a eu en vue que de fournir aux clercs et aux étudiants des manuscrits à meilleur marché. Son point de vue est celui d’un simple industriel, et cela est si vrai que les humanistes d’Italie, au début, n’ont témoigné que du dédain à une découverte qui leur semblait ravaler par le bon marché et le caractère mécanique de ses produits, la majesté et le charme des œuvres de la pensée.

Ainsi même dans ce que l’époque présente de plus durable et de plus remarquable, dans ce qu’elle a de plus beau et dans ce qu’elle a de plus puissant, on ne voit pas qu’elle s’oppose au passé. Et, pourtant, s’il est bien évident qu’elle le continue en grande partie, il n’en est pas moins vrai qu’en partie aussi elle s’en écarte. Comme en Italie, et avant que l’influence de l’Italie ne se soit fait sentir, la vie commence à échapper à l’emprise de la tradition. La morale ascétique du Moyen Age, ici comme là-bas, perd son empire sur les âmes. Le relâchement des mœurs et la prédominance des intérêts temporels ne sont pas moins frappants au xve siècle dans l’Europe du nord qu’en Italie. Plus la civilisation est avancée, plus l’observation est frappante. Les Pays-Bas sous les ducs de Bourgogne, entre la France et l’Angleterre, l’une épuisée par la guerre, l’autre en proie aux discordes civiles, présentent au milieu de la paix et de la richesse, un spectacle qui présente des analogies curieuses avec celui de l’Italie. On peut y observer à la cour, chez la haute noblesse, parmi les fonctionnaires et les capitalistes, propriétaires fonciers ou marchands, un genre de vie dont les traits principaux sont précisément ceux par lesquels on a coutume de caractériser les débuts de la Renaissance en Toscane ou en Lombardie : relâchement général de la moralité, amour du luxe et des fêtes, recherche de l’élégance et du confort dans les habitations privées, goût pro-