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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/454

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Personne ne sort de l’Église, ni ne songe à en sortir, mais la religion est devenue surtout une habitude, une règle de vie dont on observe les rites beaucoup plus que l’esprit. De là le succès des indulgences dont la papauté, toujours à court d’argent, se laisse aller à autoriser à tout propos de nouvelles émissions. Sûrement ceux qui les achètent, oublient que la contrition est indispensable à leur efficacité et se figurent bonnement prendre une assurance contre les risques de la vie future. Naturellement tout le monde n’en est pas là. Il existe encore des âmes ferventes et religieuses pour lesquelles la foi est un besoin. Mais c’est le plus souvent en dehors de l’Église, dans le mysticisme individuel qu’elles en cherchent la satisfaction.

Et encore, au commencement du xvie siècle, le mysticisme est-il bien moins répandu qu’au milieu du siècle précédent. Le mouvement général des idées lui est trop opposé. A mesure que se répandent les tendances de la Renaissance, les meilleurs esprits envisagent la religion beaucoup moins comme une introduction à la vie divine que comme une doctrine morale. L’idéal de l’humanité que conçoivent Érasme, Morus, Vivès, est sans doute tout pénétré de christianisme mais d’un christianisme, si l’on peut ainsi dire, adapté aux nécessités de l’existence terrestre. De là leur antipathie à l’égard de l’ascétisme et de la théologie traditionnelle. Ils s’embarrassent assez peu du dogme et la vertu leur paraît certainement la forme suprême de la piété. Du reste, s’ils attaquent énergiquement les moines et ne cachent pas leur dédain pour la morale de la scolastique, ils se gardent soigneusement de rompre en visière avec l’Église. Ce sont des catholiques assez inquiétants, mais ce sont des catholiques ; le haut clergé, les cours, le pape lui-même ne leur cachent par leur sympathie ; ils espèrent sans éclat, sans crise, par la simple influence des progrès des idées, du bon sens, de l’instruction et grâce à l’appui des autorités sociales, amener une réforme religieuse pleine de mesure, de largeur et de tolérance.

Ce beau rêve ne dura qu’un moment ; il était au surplus irréalisable car le christianisme anti-ascétique des humanistes n’avait rien de commun avec celui de l’Église et la rupture se serait fatalement opérée entre celle-ci et celui-là si le temps l’avait permis. Les théologiens ameutés contre Érasme le voyaient très bien et, si le pape leur imposa silence, c’est que l’engouement pour la Renaissance était si grand qu’il empêcha tout d’abord d’apercevoir le péril. Le haut clergé courtisait les Érasmiens comme à la fin du