Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/456

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s’expliquent que par le milieu allemand dans lequel il est né, cela ne prouve rien pour son prétendu caractère germanique. À l’Allemand Luther, il serait trop facile d’opposer ici le Français Calvin. La Réforme est un phénomène religieux ; elle n’est pas un phénomène national, et s’il est vrai qu’elle s’est répandue surtout chez les peuples de langues germaniques, ce n’est pas qu’elle y ait trouvé des esprits mieux faits pour la comprendre, mais qu’elle y a été favorisée par des conditions politiques et sociales qu’elle n’a pas rencontrées ailleurs.

Luther appartient au nombre de ces hommes qui, dans tous les pays et à toutes les époques, sont troublés jusqu’au plus intime de leur conscience par ces problèmes religieux qu’il est plus facile de sentir que de définir. Né en 1483, fils d’un mineur d’Eisleben (en Saxe), il avait, comme tant d’autres enfants du peuple, après s’être distingué à l’école, été destiné par son père à la carrière de juriste. Il fréquentait l’Université d’Erfurt depuis 1501 quand, en 1505, épouvanté par l’idée de la mort qui avait failli le frapper pendant un orage, il renonça à sa carrière et prit l’habit dans un monastère d’Augustins. Comme tant d’autres aussi, il ne trouva pas le repos de l’âme dans la vie ascétique et, en 1508, il fut heureux d’être désigné par le général de son ordre pour occuper une chaire à la Faculté de Théologie de l’Université de Wittenberg. C’est là qu’en 1517, la fameuse thèse qu’il afficha contre la vente des indulgences le fit brusquement sortir de l’obscurité et marqua le point de départ de la Réforme.

Luther était-il dès lors décidé à rompre avec l’Église ? il est difficile de le dire. Mais son tempérament volontaire et fougueux excité par la contradiction l’emporta bientôt aux extrêmes. Il se sentait encouragé d’ailleurs par l’opinion. Les protestations de la Diète d’Augsbourg en 1518 contre les exactions de la fiscalité pontificale durent fortifier sa résolution. Il était sûr de lui-même, il aimait la lutte et il avait à la fois pour la soutenir la fougue de l’orateur et celle du pamphlétaire. De même que Wyclif, de même que Hus, il veut s’adresser à la nation et c’est dans sa langue qu’il écrit. Rien de mieux fait que son style plein d’humour, de passion, de colère, pour remuer les âmes et les conquérir. Ajoutez à cela que de sa petite Université de Wittenberg, l’imprimerie porte sa puissante parole à travers toute l’Allemagne. À peine la querelle est-elle entamée, elle retentit partout. Pour la première fois, une question religieuse est débattue devant le peuple, mise à sa portée, soumise