Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/478

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qué jusqu’au bout, conduit forcément à la théocratie, et c’est en effet une théocratie qu’a constituée, sous l’inspiration de Calvin, le gouvernement de Genève.

Le Consistoire, assemblée de pasteurs et de laïcs, exerce, si l’on peut ainsi dire, la surintendance morale de la république. Il ne gouverne pas, mais il surveille et contrôle les « conseils » de la commune et les maintient dans le droit chemin. Les « ordonnances ecclésiastiques » sont appliquées par l’autorité civile. La peine de mort, la torture, le bannissement, la prison frappent, suivant leur gravité, mais toujours avec une sévérité exemplaire, les contraventions à la règle ecclésiastique on à celle des mœurs. La fréquentation du temple est obligatoire ; l’adultère entraîne la peine capitale ; chanter une chanson profane, une pénitence publique. La conduite de chacun est soumise à une inquisition permanente qui le poursuit jusque dans son domicile et s’étend aux moindres actes de la vie privée. L’hérésie est impitoyablement réprimée ; il suffit de rappeler le supplice de Michel Servet en 1553.

En même temps que le modèle de l’État chrétien, Genève devint un centre ardent de propagande religieuse. Les réfugiés français, que les persécutions du règne de Henri II y faisaient affluer, fournirent à Calvin les premiers disciples qui s’inspirèrent de son esprit. Le plus célèbre d’entre eux, Théodore de Bèze, fut pour lui ce que Mélanchton fut pour Luther, l’organisateur de l’enseignement sans lequel il n’est point d’Église possible. En 1559 était fondée l’Académie de Genève, essentiellement destinée à la formation des « ministres », on pourrait presque dire des missionnaires calvinistes. Car la formation qu’ils reçoivent les prépare avant tout à répandre la doctrine. L’apostolat, que Luther a complètement négligé, est pour Calvin la condition indispensable de la propagation de la foi. Ce n’est pas qu’il eût repoussé la collaboration des princes ; mais il arrivait trop tard pour pouvoir compter sur eux. Ils avaient pris déjà position. En Allemagne, seul l’électeur palatin adopta et par conséquent imposa chez lui le calvinisme. En dehors d’Allemagne, les rois du continent prenaient partout le parti de Rome et celui d’Angleterre venait d’imposer à ses sujets une Église nationale. Il fallait donc se préparer à la lutte pour faire triompher la parole de Dieu. Partout l’État se montrait hostile. Bien plus ! L’Église romaine, un moment désorientée par l’attaque subite qui l’avait prise au dépourvu, se ressaisissait et se montrait prête non seulement à se défendre, mais à reconquérir les positions qu’elle avait