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CHAPITRE III

LES ÉTATS EUROPÉENS
DEPUIS LE MILIEU DU XVe SIÈCLE
JUSQU’AU MILIEU DU XVIe SIÈCLE

I. — La politique internationale

Ni les grandes transformations sociales, ni les grandes crises de la pensée ne coïncident nécessairement avec les modifications de la politique internationale. La Renaissance, la Réforme, le capitalisme ont sans doute exercé une influence profonde sur la vie des divers États ; ils n’en ont exercé aucune sur les conditions toutes nouvelles qui, depuis le milieu du xve siècle, déterminèrent la situation de ces États à l’égard les uns des autres. C’est au jeu des conjonctures que l’Europe a dû, au même moment où elle subissait tant de changements intellectuels, religieux et économiques, d’assister aussi à une perturbation radicale dans le système des forces qui, depuis le commencement du xiiie siècle, s’y trouvaient en présence.

Les cinquante années qui s’écoulent depuis la fin de la Guerre de cent ans ont suffi à bouleverser l’ordre traditionnel de la politique. La grande lutte de la France et de l’Angleterre n’a pris fin que pour placer la communauté européenne devant des problèmes inattendus. Tandis qu’en Occident, des nouvelles puissances entrent en scène : l’État bourguignon le long des côtes de la Mer du Nord, et au sud des Pyrénées l’État espagnol englobant désormais en un seul bloc monarchique la Castille et l’Aragon, à l’Orient l’Empire turc menace le monde chrétien d’une nouvelle invasion de l’Islam. Le hasard, cette force mystérieuse qui se plaît continuellement à déjouer les calculs des hommes, a donc fait que dans le même temps où une période critique débute dans l’histoire interne de l’Europe, celle-ci est obligée de faire face au péril extérieur.

L’invasion turque est sans doute le plus grand malheur qui, depuis la fin de l’Empire romain, ait affligé l’Europe. Partout où elle s’est avancée, elle a apporté la ruine économique et la décadence morale. Tout les peuples qui ont été soumis au joug, Bulgares, Serbes, Roumains, Albanais, Grecs, sont retombés dans un état