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rence de souverains locaux, et l’Autriche, la Bavière, la Saxe, le Brandebourg voient s’imposer à eux des institutions qui, en fait, sont des institutions monarchiques.

Un phénomène aussi général suppose des causes aussi générales que lui-même. L’individualité des princes, la tradition, les circonstances ont évidemment imprimé dans chaque pays un caractère particulier à la monarchie. Mais si grandes que soient les différences locales, la ressemblance des traits essentiels y témoigne que l’évolution correspond partout à des tendances irrésistibles de la société. On se trouve en présence d’une poussée analogue à celle qui, au xe siècle, a produit le régime féodal, et au xiie siècle le régime urbain. Et comme pour ceux-ci, il est permis, sans tenir compte des détails et des nuances, d’esquisser dans ses grandes lignes, un mouvement qui s’est manifesté dans toute l’Europe occidentale[1].

Le pouvoir royal était en rapports trop étroits avec la constitution sociale pour n’être point affecté par la grande transformation économique et intellectuelle à laquelle celle-ci est soumise depuis le milieu du XVe siècle. Le capitalisme, la Renaissance, le luthéranisme ne pouvaient point ne pas agir sur lui, et il est facile de voir qu’ils ont tous collaboré pour leur part à le doter d’une vigueur nouvelle. Chacune de ces grandes forces en lutte contre le passé devait nécessairement rechercher et obtenir l’alliance de l’autorité monarchique. Leur hostilité aux vieux privilèges, aux vieilles institutions, aux vieilles idées qui limitaient cette autorité leur en assurait le concours. Elle prit à leur égard la même attitude qu’elle avait prise en France et en Espagne à l’égard des bourgeoisies, lorsque celles-ci avaient jadis sollicité son appui contre la féodalité. Aujourd’hui comme alors son propre développement dépendait du développement général de la société. En agissant en sa faveur, elle agissait pour elle-même. Son intérêt le plus évident était d’être moderne et de combattre les tendances conservatrices qui s’opposaient autant à ses propres progrès qu’au progrès social. Ne travaillait-elle pas à son profit en aidant le capitalisme à ruiner le particularisme municipal, en favorisant la propagande des huma-

  1. En Russie aussi l’expansion de la principauté de Moscou et la croissance du pouvoir de ses princes commencent à la fin du xve siècle, mais les causes en sont dans l’effondrement de la domination tartare et n’ont rien de commun avec le développement de l’Europe. La Pologne aussi reste en dehors du mouvement.